Les femmes se sentent souvent obligées d’éviter de faire des vagues au travail. Ce n’est pas le cas de l’actrice primée Amanda Brugel. Elle a lutté pour que les femmes de couleur cessent d’être cantonnées à des rôles stéréotypés et s’est établie une carrière fructueuse en tant qu’actrice de composition, prenant la vedette dans La Servante écarlate et dans des centaines d’autres productions canadiennes et internationales.

Amanda a réinventé l’identité de la femme Noire au cinéma et à la télévision en affirmant d’abord son individualité. L’histoire d’Amanda, qui a osé jouer la carte de l’imprévisibilité lors de ses auditions et a su transformer ses bonnes intentions en grandes réalisations, nous montre qu’il est possible de se réinventer : il faut simplement oser le faire.

Amanda Brugel: Je suis humaine, et il m’arrive d’être blessée, d’être abasourdie et meurtrie, de tomber et d’avoir envie de me rouler en boule sous les couvertures. Mais je le répète, pour réinventer notre façon de voir les choses, surtout les choses négatives, je crois qu’il est vraiment important de ne pas les laisser nous écraser, nous freiner ou nous arrêter. Je pense qu’il faut absolument prendre toutes les situations blessantes, arriver à les examiner, se demander pourquoi elles nous font mal et utiliser nos conclusions pour nous propulser hors de la souffrance.

Lisa Bragg: Au sein de l’impitoyable secteur du cinéma et de la télévision, Amanda Brugel a réussi à tirer son épingle du jeu. Elle a réinventé les rôles de composition pour les femmes de couleur et s’est bâti une carrière couronnée de récompenses en cours de route. Je m’appelle Lisa Bragg et voici Audacieu(se), un balado relatant des histoires de femmes qui se distinguent, destiné à leurs semblables, et qui vous est présenté par BMOpourElles. Vous connaissez peut-être Amanda pour son rôle de Rita dans La Servante écarlate, mais l’actrice canadienne a joué des centaines de rôles. Amanda, ramenez-nous là où tout a
commencé.

Amanda Brugel: J’ai toujours aimé faire des spectacles et m’exprimer devant un public quand j’étais enfant. Que ce soit parce que je cherchais de l’attention ou parce que je pouvais voir les visages des gens, j’ai toujours beaucoup aimé avoir un groupe de personnes devant moi. J’ai donc supplié mes parents de me permettre de devenir actrice. C’était bien avant Internet, alors j’ai ouvert l’annuaire téléphonique et les pages
jaunes et j’ai cherché beaucoup d’agents. J’ai pris la machine à écrire et j’ai tapé 12 lettres individuelles, que j’ai placées dans des enveloppes et que j’ai données à mon père pour qu’il les envoie aux agents. Car on allait me donner ma chance et j’allais rencontrer un agent.

Amanda Brugel: Et on a attendu une réponse pendant six mois. On allait déménager, et j’aidais mes parents à vider une étagère. J’ai tiré sur un livre derrière l’étagère et les 12 lettres sont tombées, scellées, timbrées. Elles n’avaient jamais été envoyées. Et mes parents ne les ont pas postées. Ils ne les ont pas envoyées parce qu’ils voulaient que j’aie une enfance normale. Ils voulaient que je reste à l’école, que je continue à faire du sport et que je continue à danser.

Amanda Brugel: Ça m’a brisé le coeur, mais j’ai fait confiance à mes parents et je savais qu’en m’empêchant de faire quelque chose, ils essayaient de me protéger, pas de me blesser. J’ai donc arrêté de vouloir être une actrice pendant un long moment. Puis je suis entrée à l’école secondaire. J’étais très sportive, c’est ce que j’aimais. Nous devions suivre un cours d’art dramatique facultatif. J’avais donc un cours d’art dramatique
auquel j’échouais volontairement, parce que la discipline n’était pas à la mode dans mon école. Mon professeur m’a mise à l’écart et m’a dit : « Je vais te donner la note de passage si tu passes l’audition pour la
pièce de théâtre de l’école. » J’ai passé l’audition pour la pièce, j’ai décroché le rôle principal, et je n’ai plus été capable de m’en passer.

Lisa Bragg: Ok. Wow. Voyons un peu les choses en détail. On ne parle pas des parents aujourd’hui, on parle de se réinventer, mais… Vous aviez donc neuf ans quand vous avez trouvé les lettres?

Amanda Brugel: Oui. J’avais neuf ans. Et vous pouvez imaginer qu’à l’âge de neuf ans, vous regardez vos parents et ils ne peuvent rien faire de mal à vos yeux. J’ai tout d’un coup réalisé qu’ils essayaient de me protéger, de me laisser être une enfant, de protéger mon innocence et ma jeunesse, et j’ai respecté cela. Je respecte vraiment mes parents. C’était blessant, mais ils n’avaient jamais rien fait de semblable. C’était donc assez pour me donner une leçon et je me suis dit : « Ils doivent me protéger de quelque chose. Je dois respecter cela. » Jusqu’à ce que je devienne adolescente. Le respect disparaît à l’adolescence!

Lisa Bragg: Le rejet n’est donc pas la première chose que vous avez ressentie; vous avez vu vos parents qui vous protégeaient, et c’était la voie à suivre.

Amanda Brugel: Exactement. Exactement. C’était vraiment le cas. Quant au rejet, je crois que j’ai été élevée pour devenir une personne qui voit toujours le rejet comme une bonne chose. Si jamais j’obtenais une mauvaise note, en quoi que ce soit, mon père me la faisait voir comme une occasion qui me permettrait de grandir, et d’apprendre. Et au lieu de me punir ou de me faire subir des conséquences, mes parents
m’encourageraient à apprendre et à m’améliorer. Pour moi, le rejet a toujours été un carburant, c’est comme mettre un peu d’essence dans le réservoir. Quand j’essuie des refus, j’adore ça, j’en tire profit.

Lisa Bragg: C’est très bien. Vous avez donc un état d’esprit de croissance, un terme que nous entendons tous à l’heure actuelle…

Amanda Brugel: Oui.

Lisa Bragg: …surtout si vous êtes un parent, vous devez avoir cet état d’esprit de croissance. C’est comme dire : « Non, mais je peux en tirer des leçons. » C’est vraiment naturel pour vous.

Amanda Brugel: Absolument. Et quand on parle de se réinventer, il faut savoir changer de direction. Certaines personnes, lorsqu’elles reçoivent un refus et qu’elles heurtent un mur, demeurent immobiles et ne savent pas comment contourner le mur. Mais si vous arrivez simplement à réinventer votre perception des choses, votre perception de vousmême, vous ne voyez plus un mur, vous pouvez facilement trouver une porte et y entrer, ou réussir à le contourner.

Lisa Bragg: Quels sont les défis que vous avez dû relever dans votre industrie en tant que femme, tout d’abord, mais surtout en tant que femme Noire? En avez-vous rencontré?

Amanda Brugel: C’est intéressant. Il y a quelque temps, j’ai écrit un article en lien avec mon enfance. J’ai été adoptée par mon père, et je ne l’ai su qu’à l’âge de 11 ans. Ma mère est Blanche. Je suis visiblement une femme métisse; mon père est Indien et Juif. J’ai grandi sans qu’on me parle de races. Quand je regardais ma mère et mon père, je ne voyais pas des personnes de couleur, de couleurs différentes, et je ne me suis jamais dit que je ne devrais pas faire partie de cette famille. Ce n’est pas une chose à laquelle je pensais, je ne me suis même jamais posé de question, parce que nous n’avons jamais parlé de race. Quand j’avais
11 ans, mon père biologique a appelé et j’ai répondu au téléphone. Mon père adoptif a traversé la pièce en courant comme un fou et m’a arraché le téléphone des mains.

Amanda Brugel: C’était une réaction assez choquante. Il m’a envoyée dans ma chambre et quand ma mère est revenue du travail, ils m’ont assise, mon père adoptif et ma mère, et ils m’ont finalement dit que j’avais été adoptée. La première question qu’ils m’ont posée a été : « Tu ne le savais pas? » Et pour la première fois, la race, l’identité et la notion de soi se sont abattues sur moi. La plupart des enfants apprennent quelle est leur race dès qu’ils savent parler. Pas moi. Ça ne faisait tout simplement pas partie de notre dialogue quotidien. Et je n’avais pas réalisé que les gens se catégorisaient selon leur couleur. On ne parlait tout simplement pas de ça dans notre famille.

Amanda Brugel: Et donc, comme on ne m’avait pas enseigné ce qu’étaient les races, parce que c’est quelque chose qu’on doit se faire enseigner, et comme je n’avais pas appris à m’identifier à une certaine race, devenir actrice a été très difficile, parce que j’ai dû me réconcilier avec le fait que les gens me voyaient comme une femme Noire. Ce n’est pas que je ne me vois pas comme une femme Noire, mais je me vois d’abord comme Amanda, une femme, une personne bonne, drôle, forte. Ensuite je vois ma couleur. Non pas que je n’en sois pas fière, mais je n’entre tout simplement pas dans une pièce en tant que Noire. J’entre dans une
pièce en tant qu’Amanda, parce que c’est ce qu’on m’a enseigné. Le métier d’acteur ne voit pas les choses de la même façon, l’industrie du divertissement ne voit pas les choses de la même façon, le monde ne voit pas les choses de la même façon.

Amanda Brugel: J’ai donc rapidement dû changer de cap, réinventer ma façon de penser par rapport à la couleur et à la race. Quand je dis rapidement, il m’a fallu quelques années pour comprendre comment j’allais intégrer cette réalité, ce qui me rendait à l’aise et la place que je pourrais occuper par rapport aux normes du secteur.

Lisa Bragg: Avez-vous l’impression de vous être réinventée à 11 ans?

Amanda Brugel: Pas à 11 ans. Je pense que j’essayais juste de comprendre ce que ça signifiait d’être une métisse avec une mère Blanche et un père Juif- Indien. Je pense que j’essayais vraiment de travailler mon esprit et mon sens de l’identité. Surtout à 11 ans, à ce moment où on est si vulnérable, où on est sur le point d’entrer dans l’adolescence. J’essayais simplement de comprendre à quoi j’appartenais et qui j’étais. Et mes parents étaient formidables. Mon père, en particulier, ne m’a jamais permis de m’appuyer sur ma race ou sur des idées préconçues sur ce que devrait être la réalité des femmes Noires. Il m’a toujours
encouragée à d’abord être moi-même. Je crois que parce qu’il a grandi en Inde en étant à moitié Juif, il a eu de la difficulté à réconcilier ces deux mondes très, très différents.

Amanda Brugel: Ce n’est qu’à mon entrée à l’école secondaire et quand, encore une fois, j’ai commencé à travailler dans le secteur du divertissement, que j’ai dû complètement réinventer qui j’étais afin, malheureusement, de pouvoir me commercialiser auprès des autres.

Lisa Bragg: Vous êtes maintenant une actrice primée, mais parlez-nous de ces années à l’école secondaire, et de votre cheminement pour devenir actrice. Dites-nous-en plus.

Amanda Brugel: L’école secondaire était formidable parce que, encore une fois, on est dans une bulle et on incarne des rôles, les seuls qui nous sont offerts, et qui ne sont pas fondés sur notre apparence. Cela m’a en quelque sorte donné la fausse impression qu’on me donnerait des rôles parce que j’étais la meilleure, et non parce que je ressemblais à quelqu’un. À mes tout débuts, dans les années 1990, les rôles offerts aux femmes de couleur étaient habituellement des rôles de prostituées ou de domestiques. L’idée d’être une femme de couleur et de jouer un rôle principal, celui d’une amoureuse, était tout simplement hors de question. Et comme on m’avait donné des rôles principaux dans beaucoup de pièces à l’école secondaire et aussi à l’université, j’ai étudié en théâtre à l’Université York, j’ai trouvé la réalité très dure quand j’ai obtenu mon diplôme et que j’ai commencé à recevoir des demandes d’audition pour la « prostituée numéro un » et la « fille au gros derrière numéro trois ».

Amanda Brugel: J’étais vraiment perplexe, car je m’étais préparée, de l’école secondaire à l’université, à jouer des rôles principaux, à interpréter Catherine la Grande et à obtenir des premiers rôles dans des pièces de théâtre, surtout du théâtre classique. J’ai eu de la difficulté à accepter d’être la « fille au gros derrière numéro trois ».

Lisa Bragg: Je n’ai pas vu cela dans votre profil IMDB.

Amanda Brugel: Non, non, je l’ai refusée! Je l’ai refusée. Mais c’est à ce moment-là que j’ai vraiment réalisé à quel point il était important que je me réinvente et que je commence à réfléchir d’une nouvelle façon aux races et à la façon dont je me présente au monde. J’ai continué à recevoir des demandes d’auditions pour la « prostituée numéro un » et la « fille culottée numéro deux ». Je voulais évidemment passer les auditions,
mais je voulais me mettre à part et me différencier de toutes les autres filles qui auditionnaient pour ces rôles. La première fois que j’y suis allée, la toute première fois, j’ai décidé de changer. C’était le matin et je m’habillais pour une audition : des shorts très courts et du latex. Et ma mère m’a dit : « Ce n’est pas toi, qu’est-ce que tu fais? ».

Amanda Brugel: Ça m’a énormément contrarié et je me suis mise sur la défensive. Je lui répétais : « C’est comme ça que les gens me voient. » Elle m’a répondu : « Alors, tu dois changer les choses. » Je ne savais pas vraiment ce qu’elle voulait dire. J’ai donc décidé de changer, et je me suis rendue à l’audition. J’auditionnais toujours pour le rôle de la « fille au gros derrière numéro trois », mais j’ai décidé de lui donner un accent londonien. Je n’ai pas eu le rôle, et le régisseur de distribution était un peu perplexe, mais à partir de ce moment, j’ai toujours essayé de changer la perception que les responsables de distribution avaient
de moi. Ils pouvaient toujours m’appeler pour m’offrir des rôles, mais ils devaient s’attendre à ce que j’amène chaque fois un nouveau personnage avec moi.

Amanda Brugel: Alors rapidement, je suis devenue la personne imprévisible. J’étais Amanda, mais j’avais inventé cette personnalité, ou cette version de moi, qui était toujours imprévisible. J’étais toujours une femme Noire, j’étais très fière d’être une femme Noire, mais au lieu de participer à la propagation de l’image de la femme Noire fougueuse, je me livrais moi-même, avec une saveur différente, un accent différent, des vêtements différents.

Lisa Bragg: C’est vraiment courageux, parce qu’on nous apprend, surtout à nous les femmes, que pour réussir, il faut suivre le courant, faire ce que les gens vous disent de faire et suivre les règles.

Amanda Brugel: Oui.

Lisa Bragg: Vous vous êtes dit : « Je vais briser les règles. »

Amanda Brugel: Oui. Je ne crois pas à toutes ces règles. Je crois qu’il faut les enfreindre, de façon respectueuse, afin de ne blesser personne. On en apprend tellement sur nous-mêmes, on découvre notre résilience. Et c’est aussi un peu amusant. Selon moi, on encourage les hommes à transgresser les règles et à faire tomber les murs, alors qu’on demande aux femmes d’acquiescer, d’être polies et d’entrer dans le moule. Nous ne savons pas à quel point il est amusant de briser les règles. Et quand on l’a fait une ou deux fois, et que les autres commencent à nous voir comme quelqu’un qui repousse les limites, c’est relativement séduisant et très amusant.

Lisa Bragg: Donc, si vous n’aviez pas transgressé de règles, vous ne seriez pas là où vous êtes aujourd’hui?

Amanda Brugel: Non, je n’y serais pas. Absolument pas. On me connaît davantage pour mes rôles de composition. Il y a longtemps que j’ai pris la décision de jeter ces bases et de me réinventer à chaque audition. Je ne pouvais pas imaginer que ça allait si bien fonctionner et que je serais à quarante ans une actrice de composition de couleur. C’est presque du jamais vu. Être une actrice de composition Canadienne de couleur, c’est très difficile. Je n’avais pas cet objectif en tête quand j’ai commencé. Je voulais seulement faire mes preuves et un peu repousser les limites des régisseurs de distribution et de ceux qui me demandaient de jouer ces rôles, leur demander d’avoir un peu plus d’imagination. Je voulais qu’ils sortent des sentiers battus.

Lisa Bragg: C’est le discours d’une précurseure!

Amanda Brugel: Merci! Je crois que ce qui est intéressant avec les précurseurs, c’est qu’on ne se lance pas avec l’idée de le devenir. Je crois que c’est vraiment important de le dire aux jeunes femmes. Si vous vous lancez dans le seul but de tracer la voie, sans que ça découle d’un changement personnel que vous devez faire pour favoriser votre croissance personnelle ou la croissance de la société, je ne crois pas que cela fonctionnera. Je crois que ça tombera à plat. Mais si votre intention est sincère et que vous voulez vous améliorer ou améliorer les autres, alors vous ne pourrez jamais vous écarter de cette voie. Votre feu intérieur vous permettra seulement d’aller de l’avant.

Lisa Bragg: Pour beaucoup de personnes, se réinventer signifie rejeter tous les bons éléments et devenir quelque chose de complètement nouveau. Qu’est-ce que la réinvention signifie pour vous?

Amanda Brugel: Oh mon dieu! À mon avis, les gens pensent que pour se réinventer, ils doivent entièrement tourner le dos à tout ce qu’ils étaient et repartir à neuf, et je ne suis pas du tout d’accord avec cela. Je crois que se réinventer c’est chercher constamment à atteindre un équilibre dans sa vie. De mon côté, je me regroupais au début de chaque nouvelle année avec mes amis et on sortait une boîte, qu’on appelait « La boîte », et on revenait sur l’année qui venait de se terminer. On faisait la liste de toutes les choses négatives qui s’étaient produites, et de toutes les choses positives aussi. Ensuite, on prenait toutes les choses positives, on faisait un petit collage, ou un petit scénario-maquette, et on faisait de notre mieux, pendant l’année suivante, pour être cette personne.

Amanda Brugel: Alors, il ne s’agit pas de tout jeter à la poubelle, ce qui laisserait entendre qu’on n’est jamais assez bon. Se réinventer, selon moi, c’est continuer à se construire sur ces bases positives, en prenant les apprentissages du passé et en les appliquant à l’avenir. Ainsi, on est constamment en train de rajuster notre équilibre en essayant simplement d’être la personne la plus positive et la plus évoluée possible.

Lisa Bragg: C’est donc une nouvelle version légèrement améliorée.

Amanda Brugel: Une nouvelle version légèrement améliorée. Il ne faut pas penser à la façon dont on pourrait simplement se débarrasser de nous-mêmes. Il y a tellement de bonnes choses qui sont ressorties des tragédies que j’ai vécues. J’essaie d’en tirer des leçons et même de réinventer la façon dont je change les choses, et de repenser la façon dont je gère les pertes et les difficultés. Par rapport au travail et à la réinvention, je m’assois avec mon agente chaque année, au début de janvier, pour passer les choses en revue, réfléchir à ce qu’on a accompli au cours de la dernière année et à ce qu’on veut faire pendant l’année qui vient. On se questionne sur la façon dont on peut changer nos motivations, nos intentions, réinventer l’année qui vient par rapport à nous-mêmes et atteindre de nouveaux objectifs.

Amanda Brugel: Encore une fois, il s’agit de tirer des leçons du passé, mais aussi de modifier très légèrement des choses qui faciliteront notre avenir.

Lisa Bragg: Il y a beaucoup de femmes et de personnes très performantes qui écoutent notre balado et qui trouvent le mot « réinventer » très épeurant. Mais on peut se repenser, repenser son entreprise, son futur
à tellement de niveaux différents. Où en êtes-vous actuellement sur le plan de la réinvention?

Amanda Brugel: Eh bien, c’est intéressant, parce que je vous parlais de passer les années en revue et de tirer des leçons des éléments positifs, et j’ai rencontré un mur à la fin de l’année passée. Je vais vous raconter une petite histoire. Quand j’ai signé mon premier contrat avec mon agente, je reprenais mon métier d’actrice après une pause. Et si j’ai décidé de travailler avec elle, c’est parce qu’elle m’a demandé : « Qu’est-ce que tu veux faire? » Et j’ai répondu : « Je veux jouer. » Elle m’a dit : « Ce n’est pas suffisant. Je veux que tu dresses une liste de 10 choses que tu souhaites accomplir. » J’ai écrit que je voulais accéder au salon des cadeaux au Festival international du film de Toronto, et que je voulais jouer dans deux émissions de télévision en même temps. Mes souhaits étaient modestes, mais c’était les miens. Et nous avons tout
réalisé en huit mois.

Amanda Brugel: Elle m’a donc demandé d’écrire une autre liste. Et elle m’a dit : « Maintenant, tu dois voir grand. Écris tes souhaits les plus démesurés, ceux pour lesquels tu serais prête à supplier tous les dieux. Vise l’or. » J’ai donc écrit que je voulais aller aux Oscars, et que je voulais remporter trois prix dans une même année. J’ai écrit les choses les plus folles auxquelles je pouvais penser. Un an après avoir rédigé la liste,
j’avais tout biffé. La première chose que j’ai réalisée a été d’aller aux Oscars avec le film Room. Ça fait donc quatre ans que je fais cette liste. Et je n’ai plus de souhaits, je n’ai plus rien. Je n’arrive à penser à rien.

Amanda Brugel: On a donc décidé de ne pas nous limiter à mon métier d’actrice, et au lieu d’avoir une vision unilatérale, on a décidé de créer une autre liste. Pour une nouvelle carrière possiblement, ou une carrière secondaire qui serait complémentaire au jeu. Et ce n’est pas parce que j’étais à court d’idées, mais parce qu’on sait à quel point on réussit bien quand on combine nos réflexions et nos intentions positives. Et donc cette année, il ne s’agit pas vraiment de réinventer certains aspects de moimême, mais bien d’avoir le courage de voir plus loin que la carrière que je me suis forgée et de l’élargir. C’est ce qui m’attend, et je suis un
peu effrayée et un peu nerveuse à l’idée de produire mon propre film, ce que je vais faire cette année.

Amanda Brugel: Je vais aussi défendre un livre à une émission qui s’appelle Canada Reads. Ce sera en mars, à la CBC. Je vais donc parler davantage devant public et être une conférencière motivatrice. Ce sont des choses que j’essaie d’amorcer et je tente de repousser mes propres limites, à l’intérieur desquelles j’ai déjà bien réussi.

Lisa Bragg: Je crois que plusieurs de nos auditeurs vont bien comprendre ce sens de l’intention. Mais pour certaines personnes, ça demeure une « pensée magique ». Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Pouvez-vous nous dire ce que vous avez fait? Vous avez écrit une liste et, voilà?

Amanda Brugel: J’ai simplement dressé une liste. Je suis une grande adepte de ce qu’on peut appeler la pensée positive, ou la loi de l’attraction, ou le sens de l’intention. Je crois qu’il y a tellement de choses qui nous passent par la tête au cours d’une journée, surtout en tant que femmes, que femmes accomplies. Nous sommes très occupées et nous gérons plusieurs choses en même temps. Nous sommes parfois englouties par nos pensées, et nous pouvons oublier notre véritable intention, ce que nous voulons réellement. Elle se retrouve au bas de notre liste de priorités. Et selon moi, il suffit d’être claire, de clarifier nos intentions, que l’on souhaite faire le ménage du sous-sol pendant la fin de semaine, ou devenir chef de la direction d’une grande entreprise.

Amanda Brugel: Ce que j’essaie de dire, c’est qu’écrire reste la façon la plus facile de clarifier nos désirs. Faites une liste de 10 choses et conservez-la dans votre portefeuille ou utilisez-la comme écran de veille pour que vous puissiez la relire, tous les jours si possible. Et chaque fois que vous l’aurez sous les yeux, rappelez-vous de la trajectoire que vous voulez prendre et de ce que vous voulez obtenir. Parce que c’est très difficile de dire : « Je n’y parviens pas. Je ne réalise rien. » Mais certaines personnes ne savent même pas ce qu’elles veulent vraiment. C’est tellement important, c’est essentiel de savoir précisément ce qu’on veut, surtout en tant que femmes, et particulièrement en tant que femmes de couleur, lorsque les occasions ne sont pas aussi nombreuses.

Amanda Brugel: Et plus la liste est précise, mieux c’est, parce qu’on arrive à atteindre les objectifs plus rapidement, selon moi.

Lisa Bragg: Absolument. Cette année, je fais un suivi de mes objectifs sur une période de 12 mois, ainsi je manifeste mon intention.

Amanda Brugel: Très bien.

Lisa Bragg: Je les garde sur ma table de chevet pour les relire, parce que j’ai de grands rêves, je crois que nous en avons toutes. Donc chaque soir, je les passe en revue et je me demande : « Est-ce que je fais ce que je suis censée faire? » Parce que nous sommes absorbées par nos tâches de propriétaire d’entreprise, de mère, d’humaine, nous oublions de faire ce que nous devons faire.

Amanda Brugel: Je crois que vous aviez raison. Je pense que les gens trouvent que c’est un peu ésotérique, un peu une « pensée magique », comme vous disiez. Mais la seule chose que je peux dire à ce sujet est que nous faisons constamment des listes, des listes de ce que nous voulons acheter pour les Fêtes, des listes d’épicerie, des listes de choses à faire. Et il n’y a rien de mieux que de faire une liste pour son avenir. Il n’y a rien de mieux que de faire une liste pour soi-même, pour se rappeler : « Voilà comment je veux vraiment utiliser mon temps. » Ce n’est pas parce qu’une chose semble impossible à l’heure actuelle qu’elle ne se
produira pas. Vous devez d’abord dresser votre liste pour savoir où vous voulez aller.

Lisa Bragg: Bien sûr, nous devons parler de La Servante écarlate. Comment cela se passe-t-il? Ce petit projet auquel vous participez?

Amanda Brugel: Oh, cette petite chose, c’est formidable! Ça l’est vraiment. Ça a changé ma vie. Il y a quelque chose de drôle avec La Servante écarlate. Quand j’étais à l’école secondaire, j’adorais Margaret Atwood. C’est le premier livre que j’ai lu dans mon cours de littérature canadienne et je suis immédiatement tombée sous le charme de La Servante écarlate. J’ai donc écrit une série de nouvelles à ce sujet, j’étais obsédée et j’ai lu tous ses autres livres. À l’université, je ne savais pas si je voulais devenir actrice ou écrivaine. J’ai donc soumis mes petites histoires à l’école et j’ai obtenu un petit montant, comme une toute petite bourse d’études pour commencer ma première année d’université.

Amanda Brugel: Durant ma première année d’étude, je devais choisir entre le programme d’interprétation et le programme d’écriture. J’étais encore déchirée. J’ai donc écrit une énorme thèse sur La Servante écarlate, sur Rita, mon personnage, et j’ai reçu une bourse d’études complète pour le programme d’écriture.

Lisa Bragg: Attendez, je demande un temps d’arrêt! Vous avez écrit une thèse, un papier, sur le personnage que vous jouez 10, 15, 20 ans plus tard?

Amanda Brugel: En 1996. J’ai commencé à la jouer en 2016.

Lisa Bragg: Wow.

Amanda Brugel: Oui. Et c’est pourquoi je dis aux gens d’écrire! Je l’aimais tellement et elle jouait un rôle si important dans ma vie. Ça faisait des années que je parlais du livre. Et la régisseuse de distribution pour qui j’étais souvent lectrice, je donnais la réplique pendant les auditions, n’en pouvais plus de m’entendre parler de La Servante écarlate et de Margaret Atwood. Elle a décroché le poste de régisseuse de distribution au Canada et m’a appelé pour me dire : « Écoute, je suis la régisseuse de distribution au Canada. Ils ne prennent aucun Canadien. Je vais te permettre de venir passer une audition, mais je veux simplement que tu fasses entendre le rôle. Je sais à quel point tu aimes les mots. Donne-leur un coup de fouet. Tu n’obtiendras pas le rôle. »

Amanda Brugel: C’est ce que j’ai fait. Et j’ai passé, je ne peux pas vous dire combien de temps j’ai passé sur cette audition. Et si vous avez vu l’émission, vous savez que Rita ne parle pas beaucoup, mais il y a tellement de choses qu’elle communique par son langage corporel, sa respiration et ses expressions faciales. J’ai mis des heures à essayer de la trouver. J’ai donc passé l’audition, et voilà, on m’a rappelée. Quand j’ai reçu l’appel et que j’ai fait le bout d’essai, tous les producteurs et les directeurs étaient présents et ils me posaient des questions sur ma thèse et je n’arrêtais pas de leur dire ce qui sonnait faux dans le scénario selon moi. Encore une fois, j’étais un peu effrontée, une pionnière, disons, mais je voulais seulement être honnête.

Amanda Brugel: Je voulais aussi qu’ils comprennent qu’ils s’attaquaient, selon moi du moins, à un livre qui avait presque des proportions bibliques, à un héritage canadien, et qu’ils devaient le traiter avec soin. J’ai donc commencé à leur dire que je n’aimais pas trop le travail qu’ils avaient fait sur le scénario, et ils m’ont embauchée.

Lisa Bragg: Wow. Encore une fois, c’était courageux. « Je n’aime pas ce que vous faites, vous n’avez pas la profondeur nécessaire. »

Amanda Brugel: Oui. Mais pour expliquer le contexte, je suis redevable à l’entreprise, mais il s’agit d’une entreprise américaine qui vient ici et qui raconte une histoire canadienne. Je suis très, très fière d’être Canadienne, alors je voulais simplement m’assurer qu’ils comprenaient bien l’héritage qu’ils devaient perpétuer.

Lisa Bragg: Margaret Atwood, c’est comme le sirop d’érable. Ça fait partie d’un tout.

Amanda Brugel: Oui.

Lisa Bragg: C’est tout de même incroyable, j’ai eu des frissons quand vous avez raconté que vous aviez écrit votre thèse, et voilà que vous dites aux directeurs qui sont en train de tourner que ça doit être fait de cette façon.

Amanda Brugel: Oui. Ou plutôt, c’est de cette façon que j’avais imaginé Rita. Parce que ce personnage me tenait tellement à coeur depuis plus de 25 ans, j’avais de forts sentiments pour elle, et j’ai décidé d’exprimer mon opinion, d’une manière polie, mais ferme. Une chose, encore une fois, qu’on ne fait pas en tant que femmes, selon moi. On s’améliore, on voit beaucoup plus de femmes qui disent ce qu’elles pensent et qui sont félicitées pour leur franc-parler, sans être humiliées ou se faire traiter de noms pas très gentils. Il y a plus de modèles, surtout pour les jeunes femmes. J’aurais donné un rein pour voir le nombre de femmes fortes que je vois maintenant, surtout des femmes de couleur, dire chaque jour ce qu’elles pensent et s’assumer et avoir assez de courage pour passer pour des femmes agressives ou cinglantes.

Amanda Brugel: Je crois donc que les jeunes femmes ont beaucoup, beaucoup de chance d’avoir ces modèles. Mais comme j’ai 43 ans, je sais aussi que je dois dire ce que je pense pour que les femmes plus jeunes sentent qu’elles ont le droit de le faire aussi. Je prends cela très au sérieux.

Lisa Bragg: Parce qu’il faut vraiment le voir pour arriver à le faire.

Amanda Brugel: Oui, vraiment. Vraiment. En même temps, j’élève mes deux garçons, et je crois qu’il est impératif pour eux de voir une femme forte, et de voir leur mère réussir sa carrière. Mais s’ils peuvent aussi me voir réussir chaque jour dans notre vie personnelle, ils sauront que les femmes sont ainsi, et ils ne le remettront pas en question lorsqu’ils seront plus vieux et qu’ils rencontreront des femmes fortes.

Lisa Bragg: Qu’est-ce que ça fait d’être la seule Canadienne à travailler sur un produit aussi canadien? Comment cela se passe-t-il?

Amanda Brugel: Au début, c’était très difficile. Au début, je me sentais comme une étrangère. Et comme je me sentais tellement responsable du matériel, je me sentais encore plus étrangère, parce que j’avais l’impression d’avoir quelque chose à prouver, je voulais rendre justice au livre. Il y aussi une certaine hiérarchie sur le plateau, et je suis la seule Canadienne et le vedettariat n’existe pas vraiment ici. Je pense qu’au
début, beaucoup d’acteurs américains ne voulaient pas vraiment s’associer à moi et ne voulaient pas s’ouvrir à moi autant qu’ils auraient pu le faire.

Amanda Brugel: Ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas gentils, ce sont des personnes extraordinaires, mais à Hollywood, surtout sur les plateaux de tournage hollywoodiens, il n’y a qu’un très petit groupe. Les gens veulent en quelque sorte conserver un certain statut et je pense que témoigner de la sympathie pour la Canadienne inconnue ne faisait pas partie de leurs priorités. Mais je me suis contentée de faire mon travail, de faire mes choses. Je ne suis jamais vraiment… Encore une fois, le rejet. On en revient au rejet. C’est un moteur pour moi, et le fait de ne pas avoir été accueillie, ou présentée immédiatement à ce groupe d’acteurs
hollywoodiens très célèbres m’a incité à mieux faire mon travail, car au lieu d’essayer de me lier d’amitié avec eux, j’ai laissé mon travail parler de lui-même.

Amanda Brugel: Finalement, après un certain temps, je crois qu’ils se sont rendu compte que j’étais une bonne candidate, ou du moins que j’étais venue pour jouer. Et maintenant, nous sommes tous très, très proches.

Lisa Bragg: Vous trouvez de l’énergie, vous utilisez les choses comme carburant.

Amanda Brugel: Oui.

Lisa Bragg: Est-ce que vous y réfléchissez ou est-ce que ça vous vient naturellement et vous vous dites : « ah… d’accord, je vais l’utiliser pour avancer »?

Amanda Brugel: Oh, je crois que je dois y réfléchir. C’est le cas de tout le monde. Je suis humaine, et il m’arrive d’être blessée, d’être abasourdie et meurtrie, de tomber et d’avoir envie de me rouler en boule sous les couvertures. Mais je le répète, pour réinventer notre façon de voir les choses, surtout les choses négatives, je crois qu’il est vraiment important de ne pas les laisser nous écraser, nous freiner ou nous arrêter. Je pense qu’il faut absolument prendre toutes les situations blessantes, arriver à les examiner, se demander pourquoi elles nous font mal et utiliser nos conclusions pour nous propulser hors de la souffrance. Au lieu de rester complètement immobile, comme je l’ai déjà dit. Je pense à certaines personnes que je connais, et je crois que cela peut surtout arriver aux  femmes, parce que nous sommes des êtres sensibles et des créatures remplies d’empathie.

Amanda Brugel: Nous sommes capables de laisser quelque chose qui nous est arrivé nous abattre pour le reste de nos vies, nous la laissons continuer à nous blesser et à nous empêcher d’avancer. Je l’ai vu se produire chez ma mère. J’aime ma mère. C’est une personne incroyable, mais je pense avoir appris que des choses qui se sont produites dans son passé l’y ont enchaînée pendant des années. D’une certaine façon, elle vit toujours en 1988. Moi, je veux continuer à aller de l’avant, je ne veux pas laisser des choses m’empêcher d’avancer. C’est douloureux, ça fait mal, mais vous pouvez quand même en tirer des leçons.

Lisa Bragg: On ne peut tout simplement pas s’apitoyer sur notre sort. C’est ce qui nous retient. Il faut simplement laisser les choses derrière et se dire : « Je vais de l’avant. » Passer à autre chose.

Amanda Brugel: Et il ne faut pas être fâchée contre soi-même. Selon moi, c’est vraiment important de comprendre quand on est blessée. Encore une fois, on voit de plus en plus de femmes fortes et on a peut-être l’impression qu’il faut devenir insensible et puissante, se transformer en Wonder Woman. On peut encore ressentir des émotions, être tendre et douce, et se sentir blessée. Mais il faut voir comment on gère les choses, comment on les transforme et comment on les utilise pour augmenter notre pouvoir et ne pas les laisser nous tuer.

Lisa Bragg: Continuez à faire preuve d’empathie et conservez vos caractéristiques féminines, mais soyez aussi plus audacieuses et progressez plus rapidement.

Amanda Brugel: Oui.

Lisa Bragg: La Servante écarlate parle de solidarité féminine et montre les femmes qui se regroupent et qui se soutiennent, à un moment de l’histoire où c’est ce qu’elles font dans la vraie vie. Qu’est-ce que cela vous fait?

Amanda Brugel: Oh mon dieu! C’est une belle question. Je crois qu’au départ, comme je l’ai mentionné plus tôt, nous n’étions pas très proches comme équipe, mais le fait de voir à quel point nous dépendons les uns des autres dans la distribution m’a profondément marqué et a déteint sur ma façon de travailler sur mes autres projets. C’est remarquable de voir nos rôles et la façon dont nous combattons ensemble à l’écran résonner partout sur la planète. Je suis aussi renversée de voir que les gens utilisent les costumes pour manifester, pour exprimer leur désaccord. Maintenant, les gens voient les bonnets et les robes rouges comme un signe de rébellion. Ils sont associés aux femmes et à leur émancipation.

Amanda Brugel: Ce n’est pas quelque chose que l’on prévoit en tant qu’actrice. On ne se lance pas avec l’idée d’avoir une influence mondiale. Mais le fait que l’émission ait des répercussions partout sur la planète, en particulier auprès des femmes, qui unissent leurs efforts, me fait dire que c’est la chose la plus réussie à laquelle j’ai participé.

Lisa Bragg: C’est tellement important. Passons maintenant à l’avenir; vous avez déjà un peu parlé du fait que vous allez réaliser votre propre film.

Amanda Brugel: Mm-hmm (affirmative).

Lisa Bragg: Est-ce vraiment le cas? Pourriez-vous nous en dire davantage?

Amanda Brugel: Je ne peux pas vraiment vous en dire beaucoup à ce sujet. Comme je l’ai mentionné plus tôt, j’ai commencé en tant qu’auteure et j’écris de temps à autre. J’écris de petites choses et des articles pour des magazines. Mais j’ai toujours eu peur. Je n’ai pas grandi dans une génération où on peut tout faire et être ce que l’on veut, comme les jeunes femmes nées après moi. Même les femmes qui ont 10 ans de moins que moi assument plusieurs responsabilités ou ont assez d’assurance pour dire qu’elles peuvent exercer plusieurs fonctions. J’ai appris de la génération qui m’a suivie et j’aimerais faire de même. J’ai donc pris une option sur un scénario avec mon agent et nous le produirons cette année, ce qui est vraiment emballant.

Amanda Brugel: Je ne sais pas ce que je fais, et c’est aussi très palpitant, mais j’ai suffisamment confiance dans le fait que j’évolue dans ce milieu depuis assez longtemps pour trouver ma voie. Je sais qu’il y aura de la douleur et que j’en sortirai grandie. Je sais qu’il y aura des erreurs, mais je suis enthousiaste à l’idée de m’aventurer sur ce territoire inconnu. Ce n’est pas que je m’ennuie dans ce que je fais, mais j’ai fait le point et il n’y a plus vraiment de choses qui m’emballent, à part peut-être devenir une superhéroïne Marvel. C’est pour cela que je veux faire des choses qui me font peur. Je sais que cela semble très cliché et hollywoodien, mais je crois que si vous essayez de progresser, vous devez absolument redéfinir la personne que vous êtes et vous placer dans des situations inconfortables.

Lisa Bragg: Oui. On doit avoir la confiance nécessaire pour essayer quelque chose de nouveau qui nous effraiera vraiment. C’est ainsi qu’on continue de progresser et de se réinventer.

Amanda Brugel: Se réinventer et se dire que la nouveauté ne nous nuira pas. C’est une leçon que j’apprends chaque fois que je tombe et que je crois que je ne vais pas réussir à m’en sortir; je m’en sors et je me dis à chaque fois : « Tu ne vas pas mourir. Ça va faire mal, ça va faire peur, mais tu ne vas pas mourir. » Je crois qu’il est très important que les femmes comprennent qu’elles peuvent se dépasser et se sentir très effrayées, mais qu’elles n’en mourront pas.

Lisa Bragg: Il faut se lancer, faire le saut et l’atterrissage se passera bien. Et vous le prouvez sans cesse.

Amanda Brugel: Merci.

Lisa Bragg: Maintenant que vous n’êtes plus seulement une actrice canadienne, mais reconnue à l’échelle internationale, êtes-vous confrontée à de nouveaux défis?

Amanda Brugel: Oh oui, tout le temps. Je crois qu’être Canadien s’accompagne encore d’une certaine humilité, c’est donc intéressant de répondre à cette question. Je vois une différence quand je marche dans la rue parfois, ou il peut être difficile d’être dans de grands groupes pendant des festivals de films ou des événements importants. L’année dernière, j’ai dû embaucher un gardien de sécurité, ce que je n’avais jamais eu à faire auparavant. Ma vie privée en a été changée aussi; je ne parle pas vraiment à mes enfants de ce que je fais, ce n’est pas important. Il est intéressant de voir que je boucle la boucle; je protège mes enfants des
mêmes choses que celles desquelles mes parents essayaient de me protéger.

Amanda Brugel: Je ne m’en étais pas vraiment rendu compte avant que mon fils puisse accéder à Google et chercher mon nom, puis qu’il découvre que sa maman est à la télévision et qu’il commence à voir des photos de lui. Il a commencé à se comporter d’une certaine manière et à penser que cela le rendait spécial. Je ne veux pas qu’il pense de la sorte. Il doit tracer sa propre voie et affirmer sa singularité pour d’autres raisons que le simple fait d’apparaître sur Internet. Je suis très protectrice quant à tout ce qui concerne mes enfants.

Lisa Bragg: Oui, en tant que mère. Et vous avez deux garçons?

Amanda Brugel: Oui, j’en ai deux.

Lisa Bragg: Comme vous maîtrisez l’art de la réinvention, quels conseils donneriezvous aux autres?

Amanda Brugel: Je crois que la chose la plus importante à faire est de dresser une liste de ce que vous voulez devenir ou faire, puis de vous en tenir à cette liste et de sortir des sentiers battus au point où les rêves vous effraient. Deuxièmement, en parlant de peur, je crois que vous devez inclure sur cette liste plusieurs choses qui vous effraient et qui vous rendent si mal à l’aise que vous vous dites : « Pourquoi ai-je mis cela
sur la liste? » Ensuite, engagez-vous au moins à l’égard de l’une de ces choses. Et troisièmement, faites un bilan. Il est très important de faire le point sur les progrès réalisés et de voir le chemin que vous avez
parcouru ainsi que tout ce que vous avez changé.

Amanda Brugel: Encore une fois, en tant que femmes, nous sommes très occupées; on nous apprend constamment à être reconnaissantes et on nous encourage constamment à exprimer notre gratitude à l’égard des choses que nous avons faites ou que nous possédons. Cependant, je ne crois pas que nous faisons vraiment le point et que nous voyons combien de fois au cours d’une année nous nous sommes réinventées, avons contourné des problèmes ou avons reconstruit des parties de notre vie. Il faut vraiment regarder en arrière et voir combien de fois on l’a fait pour pouvoir aller de l’avant et recommencer.

Lisa Bragg: Ces petits changements nous permettent d’avancer de différentes façons et de progresser.

Amanda Brugel: Faites une liste, ayez du courage et rappelez-vous simplement que vous pouvez le faire.

Lisa Bragg: Célébrez! Très bien. Comment voyez-vous les choses pour l’industrie cinématographique et télévisuelle et pour la diversité à l’écran? Avezvous des espoirs?

Amanda Brugel: Oh là là! Tant d’espoirs. Tous les espoirs. Cette année, j’ai été très déçue par les prix Golden Globe; il y avait tant d’excellentes interprétations livrées par des femmes de couleur. Et quand je parle de femmes de couleur, je parle de femmes noires, de femmes d’origine sud-asiatique et de femmes asiatiques. Je crois simplement qu’il y a tellement plus de femmes que nous pourrions mettre en avant et il y a tant
d’histoires qui sont semblables, l’histoire nord-américaine que nous avons l’habitude de voir, encore et encore. Mon plus grand espoir est qu’il y ait davantage de premiers rôles pour les femmes de couleur, davantage de premiers rôles dans des comédies romantiques comme Crazy Rich à Singapour.

Amanda Brugel: Tout le monde sait que ce film a connu un immense succès – et pas seulement auprès de la communauté asiatique, mais auprès d’un public très diversifié. Je crois que plus nous commencerons à changer la façon dont les gens voient les histoires romantiques – si les gens qui ne sont pas de couleur arrivent à s’identifier à des rôles de personnes de couleur, comme le font les gens de couleur depuis si longtemps – plus il sera plus facile pour des femmes comme moi d’obtenir des rôles.

Lisa Bragg: Et ce sont aussi des femmes comme nous qui sont dans la quarantaine, qui ne veulent pas se sentir bloquées sur une voie où les choses ne se font que d’une façon. Il y a tellement plus à accomplir, il y a beaucoup de pistes.

Amanda Brugel: En fait, c’est quelque chose qui m’enthousiasme beaucoup. Je crois toujours qu’il pourrait y avoir plus de rôles, mais il suffit de regarder les émissions actuelles sur les services de diffusion en continu, où il y a beaucoup plus de séries mettant des femmes en vedette, comme des séries policières menées par deux femmes, c’est vraiment emballant. De plus, il ne s’agit pas que de femmes jeunes, mais de femmes dans la cinquantaine et la soixantaine – ce qui est encore un jeune âge selon moi. Il y a tellement plus de rôles, de sociétés de production et de réseaux qui permettent aux femmes plus matures de s’épanouir. À mon avis, c’est lorsque vous êtes à l’apogée de votre carrière, que vous puisez dans vos émotions et que vous avez plusieurs années d’expérience, que vous avez ce qu’il y a de plus intéressant à offrir.

Amanda Brugel: Le fait que l’industrie cinématographique commence à s’en rendre compte est vraiment emballant.

Lisa Bragg: Parce que nous avons acquis de nombreuses connaissances…

Amanda Brugel: Beaucoup de connaissances.

Lisa Bragg: … au cours des années.

Amanda Brugel: Et beaucoup de pouvoir. Je crois que c’est ce qui inspire vraiment les jeunes générations. Chaque fois que je parle à des femmes plus jeunes, elles me parlent de la confiance que j’ai en moi et je dois leur rappeler que j’ai 20 ans d’expérience de plus qu’elles; 20 ans au cours desquels j’ai appris, je me suis réinventée, j’ai souffert, je me suis relevée et j’ai avancé de nouveau. Je leur dis qu’elles arriveront où je
suis et qu’elles doivent simplement avoir confiance en leur capacité à se relever. Au bout du compte, plus tôt que moi je l’espère, elles affirmeront leur pouvoir et en prendront possession.

Lisa Bragg: Parce qu’on se nourrit de ses échecs.

Amanda Brugel: Oui.

Lisa Bragg: Pour conclure l’émission, nous posons les trois mêmes questions à tout le monde. Nous aimerions donc connaître vos réponses. La première question est : quelle est votre réalisation la plus audacieuse?

Amanda Brugel: D’accord, je sais. À la cérémonie des prix Emmy de 2017. J’étais assise près de Margaret Atwood, et Oprah était sur scène et s’apprêtait à annoncer le gagnant du prix de la meilleure série dramatique. Je me suis tournée vers Margaret, j’ai attrapé sa main et je lui ai dit (j’ai employé un gros mot ce soir-là, mais je ne le ferai pas ici) : « Préparezvous, car nous allons gagner. » Et Oprah a annoncé La Servante écarlate. J’ai donc aidé Margaret Atwood à se lever et je me suis dit : « C’est la seule chance que j’aurai d’accompagner Margaret Atwood sur scène et de la conduire jusqu’à Oprah. » Je lui ai tenu la main et je l’ai accompagnée sur scène sans la lâcher. Oui, c’était agressif et audacieux, mais deux de mes rêves se sont réalisés. Je crois que c’était ma réalisation la plus audacieuse.

Lisa Bragg: D’accord. Je dois vous poser une autre question. Savait-elle que vous alliez l’accompagner, la guider?

Amanda Brugel: Non. Elle n’a pas eu le choix, mais elle est venue volontairement. C’était fantastique et j’ai pu parler à Oprah. Elle m’a félicitée, je lui ai répondu en disant son nom, puis je l’ai regardée. Ce n’était pas
vraiment une conversation, mais dans ma tête c’en était une et tous mes rêves se sont réalisés. De l’audace et des rêves.

Lisa Bragg: C’était absolument une conversation! C’est incroyable. À quel moment auriez-vous aimé être plus audacieuse?

Amanda Brugel: Quand j’étais plus jeune. Oui, quand j’étais plus jeune. Comme je le disais plus tôt, il m’a fallu des années d’expérience pour apprendre à être audacieuse, à dire ce que je pense ou à être un peu plus franche ainsi qu’à demander les choses avec un peu plus d’assurance. J’aurais aimé apprendre tout cela plus tôt. J’aurais aimé savoir que faire preuve de franchise et d’audace n’est pas une chose négative, surtout en tant que femme. Et si je l’avais fait plus tôt, j’aurais probablement inspiré des femmes plus jeunes que moi et des gens autour de moi à le faire. Si vous pensez que vous ne pouvez pas ou ne devriez pas le faire ou que ce sera impoli, suivez votre instinct. Ayez du cran.

Lisa Bragg: Que diriez-vous à la petite fille de 10 ans que vous étiez?

Amanda Brugel: Je lui dirais qu’elle est folle et qu’elle doit accepter ses excentricités, peu importe ce qu’elle apprendra au cours d’une année. Je lui dirais qu’elle doit entrer dans une pièce en tant qu’Amanda avant tout, qu’elle a une belle couleur de peau et qu’être métisse est la chose la plus belle au monde. Mais qu’elle doit entrer dans la pièce en tant qu’elle-même, puis sa race suivra. Parce que la notion de race et l’image qu’on en a changeront beaucoup. Et devoir entrer dans une case, devoir être un certain type de personne parce que tu es d’une certaine couleur, tu n’auras pas à le faire beaucoup plus longtemps, ma chérie, alors tiens bon et présente-toi en tant que toi avant tout.

Lisa Bragg: L’invitée d’aujourd’hui était l’actrice canadienne primée Amanda Brugel. C’est ce qui conclut cet épisode de Audacieu(se), qui vous a été présenté par BMOpourElles. Si l’émission vous a plu, abonnez-vous et partagez-la avec votre réseau. C’était Lisa Bragg. Merci de nous avoir écoutées.