C’est une vie qui ressemble à un film d’action et d’aventure et qui convient à la devise d’enfance de Susan Beharriell, Lieutenant-colonel (à la retraite), soit «qui ne risque rien n’a rien ». Mais comme Lisa Bragg l’a appris dans cet épisode d’Audacieu(se), c’est la société et les femmes qui ont réalisé des gains considérables grâce aux décisions audacieuses de Susan.

 

Susan Beharriell :
Je regarde donc cette liste par ordre alphabétique. Tout d’abord, ils ne me laisseront pas être officière de l’armée ou de la marine, pilote, navigatrice ou ingénieure. Je ne veux pas distribuer des chaussettes pour le reste de ma vie (pendant quatre ans, en tout cas). Je ne suis pas chef des finances. Je ne veux pas être secrétaire. Je ne veux pas me faire des ulcères au contrôle du trafic aérien. Je ne savais pas ce qu’était un officier du contrôle des armes aériennes. Je ne suis pas dentiste. Je ne suis pas infirmière. Il n’y a plus beaucoup de choix. Je vois alors au bas de la liste le mot « sécurité ». Je demande de quoi il s’agit. On me répond qu’il s’agit de la police militaire et du service des renseignements. Donc, j’y pense quelques instants – je savais ce qu’était le service des renseignements – et je dis : « Je choisis ça. » Il a cherché et m’a répondu que ce n’était pas une option pour les femmes. J’ai dit : « Pourquoi pas? » Il m’a répondu : « Eh bien, parce que c’est comme ça. »

Susan Beharriell :
J’ai donc inscrit « sécurité », « sécurité », « sécurité », j’ai signé et daté le document et le lui ai remis. Il m’a dit que je ne pouvais pas mettre trois fois la même chose. J’ai donc changé le troisième choix. Et le tout a été entré dans le système. Je suis revenue à mon cours en me disant : « Mon Dieu. Dans quoi me suis-je embarquée? » Il était très important que nous soyons assignés à ces cours pour l’été suivant, lorsque nous retournerions à l’université pour notre deuxième année. Si vous n’étiez pas inscrit au cours, il n’était pas possible de suivre la formation pendant la courte période de l’été. Et vous preniez du retard sur tout le monde à l’obtention de votre diplôme. C’est à ce moment-là qu’ils ont envoyé trois officiers supérieurs d’Ottawa me rencontrer pour un entretien, car ils voulaient savoir si j’étais une féministe qui tentait juste sa chance parce que le système le lui interdisait. Comme il est coûteux de former des officiers des Forces canadiennes, je suppose qu’ils ont conclu que ce n’était pas le cas. Ils m’ont posé toutes sortes de questions, ce qui serait totalement illégal aujourd’hui. Et lorsqu’ils ont décidé de me prendre, l’officier a littéralement agité son doigt sous mon menton comme si j’étais à la parade et m’a dit qu’il valait mieux que je sois à la hauteur, sinon ils ne laisseraient jamais entrer une autre femme. Sans vouloir me mettre de pression!

Lisa Bragg :
C’était dans les années 70, et Susan Beharriell a été acceptée dans un programme conjoint de formation universitaire et des Forces armées canadiennes. En fait, elle a été l’une des premières femmes à suivre le même programme de formation des officiers que les hommes. Mais quand est venu le temps de choisir la direction à donner à sa carrière, on lui a refusé son premier choix. Je m’appelle Lisa Bragg et voici Audacieu(se), un balado relatant des histoires de femmes qui se distinguent, destiné à leurs semblables, et qui vous est présenté par BMOpourElles. L’histoire de Susan est une véritable aventure à chaque tournant. Pour les femmes de sa génération, il était prévisible de se faire imposer des limites à cause de son sexe; d’importants ennuis de santé ne l’ont également pas arrêtée. Pourtant, elle ne se considère pas comme une pionnière. Elle vous dira qu’elle a seulement fait son travail. Susan, vous avez provoqué toute une réaction lorsque vous avez continué à faire le nécessaire pour obtenir votre prochain emploi.

Susan Beharriell :
Lorsque je me présentais à un cours en particulier, c’était parce que j’en avais besoin. C’était un cours d’analyse d’images et d’interprétation de photos dont j’avais besoin pour mon prochain emploi. Il n’y avait pas beaucoup d’emplois disponibles, alors ce n’est pas comme si je pouvais juste dire que je préférais en avoir un autre. Il n’y avait rien d’autre, car tout était nouveau. Et ils ne savaient pas quoi faire de moi. L’instructeur en chef a remis sa démission lorsqu’il a appris qu’une femme allait suivre son cours. Il a dit qu’il n’était pas question qu’une femme soit dans sa classe. Donc tout le monde était fâché contre moi, même les membres du personnel – le départ de l’instructeur en chef avait fait augmenter leur charge de travail et c’était ma faute.

Susan Beharriell :
Nous arrivons donc en classe le premier jour et tout le monde écoute un haut gradé. Personne ne me parle. Bien sûr, ce sont tous des hommes, et aucun ne m’adresse la parole. C’était leur façon de dire que les femmes ne devraient pas être dans l’armée. Surtout pas à un poste d’officier. Et encore moins comme officier du renseignement. Nous n’aimons pas ça. Vous pouvez simplement partir, merci. J’ai fini par comprendre leur comportement; ce n’était pas que je leur avais personnellement fait quelque chose, mais tout simplement leur façon de s’opposer. Je me suis donc dit que j’allais faire fi d’eux et apprendre tout ce que je pouvais. Ça n’a pas été facile de suivre un parcours de formation difficile et rapide sans pouvoir parler à personne. Comme j’étais la seule femme officier, je ne pouvais pas aller à leurs résidences ou à leur réfectoire, ni aux au mien.

Susan Beharriell :
Je n’avais donc personne à qui parler après les cours. Si je n’avais rien compris à la question six, je ne pouvais pas en parler avec quelqu’un. C’était impossible. Il n’y avait personne à qui parler. Je me suis donc retroussé les manches. Ça a été difficile, jour après jour, semaine après semaine et mois après mois. À la fin du cours, j’étais, de peu, en tête de classe. Lors de la remise des diplômes, l’instructeur en chef est revenu, m’a prise à part et m’a dit qu’il ne s’attendait pas vraiment à ce que les femmes, bla-bla-bla. Je lui ai répondu : « Ah oui? ». Il a ajouté que je lui avais prouvé que les femmes pouvaient y arriver. Et qu’il n’aurait dorénavant aucun problème à enseigner à des femmes. Cela a fait en sorte que tous les tracas en valaient la peine. Seul un grand homme pouvait changer de façon aussi radicale et venir m’en parler. Il n’y a pas eu de femmes pendant un certain temps par la suite, mais quand ce fut le cas, il a joint le geste à la parole et a fait valoir leurs droits dans la division. Ça a donc été une période difficile. Mais j’ai continué et fait ce qui devait être fait.

Lisa Bragg :
Bon sang, Susan, à vous entendre, on se croirait il y a 60 ou 70 ans. Vous n’avez pourtant que 67 ans. Dans les années 1970, 1980 et 1990, les femmes se faisaient constamment refuser des choses à cause de leur sexe. Avez-vous déjà eu envie de laisser tomber et de vous éloigner de tout ça?

Eh bien, oui. Je m’interroge à ce sujet. J’étais absolument déterminée à ne pas plier. Pas quand c’était ça qui me poussait à avancer, mais de temps à autre, je m’en souvenais. Je m’imaginais téléphoner pour raconter que tout le monde était méchant avec moi et que je n’en pouvais plus. Mais c’est aux gens qui me regardaient et disaient que les femmes ne pouvaient pas faire ça que j’aurais dû dire ça. Je n’ai donc jamais envisagé de le faire – ça ne se serait pas bien passé. J’y repense et me demande comment j’ai réussi à traverser cette épreuve – en gardant mon sang-froid et en me ressaisissant. Je voulais prouver que nous pouvions y arriver malgré tous ceux qui voulaient nous en empêcher. Et ce fut difficile.

Lisa Bragg :
Malgré toutes ces personnes, vous vous êtes hissée au rang de lieutenante-colonelle. Je sais que vous avez beaucoup d’histoires à raconter, que vous êtes conférencière et que vous parlez de votre parcours en public. Pourriez-vous nous parler de votre affectation à Cold Lake?

Susan Beharriell :
J’y étais pour deux raisons. Tout d’abord, il s’agit du nord de l’Alberta, et c’était avant l’exploitation des sables bitumineux. Nous étions à quatre heures de route au nord d’Edmonton, et il n’y avait pas de feux de circulation entre les deux. Il n’y avait pas grand-chose à Cold Lake. La ville est probablement beaucoup plus importante aujourd’hui. On m’y avait envoyée pour agir à titre d’officier du renseignement pour la base de Cold Lake, mais aussi dans le cadre d’un important exercice de la Force aérienne internationale. Pour comprendre ce que faisaient les pilotes, ce que je leur demandais de faire, j’ai voulu me mettre à leur place : j’ai demandé à occuper le siège arrière d’un avion de chasse pour le vivre. On me l’a d’abord refusé en prétextant que mes organes féminins allaient être endommagés. Je l’ai regardé et lui ai répondu que ça irait, mes organes étaient internes.

Susan Beharriell :
Eh bien, ça a pris beaucoup de temps, mais ils m’ont finalement envoyée suivre formation d’initiation au vol en haute altitude. Bien entendu, à l’époque, il n’y avait pas de femmes pilotes de chasse ou navigatrices. C’était donc un peu bizarre. Quoi qu’il en soit, ils m’ont laissée monter à bord pour mon premier vol. Eh bien, je cumule maintenant plus de 80 heures de vol dans le siège arrière de divers avions de chasse. Les quatre membres du personnel de l’exercice Maple Flag, trois pilotes et moi-même, prenions tout simplement des chasseurs deux places pour nous rendre dans des bases aux États-Unis où nous devions coordonner ce que nous faisions dans le cadre de cet exercice afin d’être au diapason des autres forces aériennes. Une d’elles était la base aérienne Nellis, située juste à l’extérieur de Las Vegas. Pour nous y rendre, nous faisions un petit détour et descendions sous le bord du Grand Canyon, assez sympa dans le siège arrière.

Susan Beharriell :
Quoi qu’il en soit, quelques semaines avant la fin de mon affectation, le commandant de la base m’a appelée pour me dire que j’allais voler. Je voulais voler dans le CF-18 depuis mon arrivée, quatre ans auparavant, mais j’avais un vrai travail et je ne pouvais pas attendre que le siège arrière soit libre juste pour aller me balader. Il me dit donc que je vais voler. Je dois mettre une combinaison anti-g, qui ressemble à des jambières, de la taille aux chevilles. Elles ont un ballon à l’intérieur, c’est-à-dire que l’air est poussé dans ce ballon vers l’extérieur de vos jambes pour y faire pression et maintenir le sang à l’endroit où il se trouve, au lieu qu’il soit projeté d’un bout de la tête aux pieds comme si vous étiez dans des montagnes russes.

Susan Beharriell :
Nous avons donc décollé et le pilote a fait son entraînement habituel : simulation d’échange de tirs, de combat aérien à vue rapprochée, de vol avec radio et radar non fonctionnels, mission de bombardement; faux tirs, passes, atterrissages, décollages et tout le reste. Lorsque nous avons finalement terminé, il m’a dit qu’il restait un peu d’essence. Il a voulu me montrer quelque chose. Nous nous trouvions donc dans le Polygone de tir aérien de Cold Lake, qui fait 160 km sur 112 km; il n’y a ni maisons, ni routes, ni gens de toute évidence. Cet endroit est conçu pour permettre aux pilotes de voler où ils le veulent. Nous sommes donc repartis et il est descendu à 30 mètres d’altitude. Dans le nord de l’Alberta, les arbres ne sont pas très grands parce qu’il fait trop froid. Nous n’allions donc pas frapper quoi que ce soit, mais il allait assez vite.

Et il a franchi le mur du son à 30 mètres d’altitude. L’avion tremblait. Le paysage filait à toute vitesse. Bien sûr, rien ne bouge. C’est vraiment emballant. C’est comme si on était propulsé par un lance-roquettes, ce qui est essentiellement le cas. Il a tiré sur la manette des gaz, puis sur la commande de vol. Il a donc ralenti un brin, puis est monté comme une flèche et a recommencé; on aurait dit qu’on s’en allait dans l’espace. C’était vraiment extraordinaire. Puis, il a ralenti un peu, s’est redressé et a fait bouger les ailes pour me dire que j’avais le contrôle, car cet avion peut être contrôlé des deux sièges. Nous volons donc et, même si j’ai beaucoup d’heures de vol à mon actif, j’ai toujours volé droit devant, en suivant les indications de l’autre pilote lorsque nous nous rendions quelque part pour le travail.

Susan Beharriell :
Je continue donc. Puis je lui demande si je peux faire un tonneau. Bien entendu, le CF-18 est un appareil beaucoup plus moderne – de plusieurs générations – que ceux auxquels j’étais habituée. C’est un aéronef à commande de vol électrique, qui est très, très différent sur le plan technique. Donc j’entame le processus habituel pour faire un tonneau et ça ne fonctionne pas comme je veux puisque les contrôles sont beaucoup plus sensibles. Je nous remets droits et je m’en excuse. Il m’a répondu que c’était beaucoup plus doux. Eh bien, personne ne me l’avait dit! Je lui ai alors demandé si je pouvais faire une boucle. Il me répond d’y aller doucement. Nous avons fait une belle grande boucle, et c’était vraiment amusant. Nous avons traversé des nuages, puis il a pris le contrôle et nous a fait basculer sur le côté. Il me demande : « Savez-vous de quel lac il s’agit? » Eh bien, il y a une foule de lacs dans ce polygone. J’en connaissais chaque pouce carré sur une carte parce que j’ai travaillé à cibler tout cela. J’ai demandé si c’était le lac [inaudible]? Il a répondu par l’affirmative. Il nous a donc remis droit et il m’a dit que je pouvais prendre les commandes pour nous ramener à la maison. Donc, sans carte et en naviguant à l’estime grâce à ce que j’avais mémorisé dans les moindres détails, je nous ai ramenés directement dans la zone d’atterrissage et nous ai alignés sur la piste. Et il a atterri. C’était vraiment formidable.

Lisa Bragg :
Vous avez vécu de nombreuses aventures au cours de votre carrière. Pouvez-vous nous en raconter d’autres?

Susan Beharriell :
Oui, j’ai eu la chance d’avoir accès à de nombreuses occasions. Quand j’étais guide à l’école publique, j’ai représenté le Canada au World Center de Mexico. Ça a été ma première expérience des voyages internationaux. Ça m’a vraiment donné la piqûre. Cela m’a mené à explorer des parties des sept continents. J’ai parcouru en solo le sentier de la Côte-Ouest de l’île de Vancouver, fait du canot sur la rivière Nahanni en Colombie-Britannique et en Alaska et ai parcouru la route historique de David Thompson qui traverse les Rocheuses en passant par le col Athabasca. Au sommet de la ligne continentale de partage des eaux se trouve un petit lac appelé le « Bol à punch du Comité » de la Compagnie de la Baie d’Hudson. À une extrémité, j’ai regardé le cours d’eau se diriger vers le Pacifique, puis suis allée de l’autre côté, pas très loin, et ai regardé l’eau couler vers l’Atlantique. C’était vraiment génial.

Susan Beharriell :
C’est lors de ce voyage que j’ai pu voir un grizzly plutôt imposant d’un peu trop près. Nous venions tout juste de traverser le col Athabasca. Nous nous sommes arrêtés pour la nuit et nous avions un peu de temps avant le souper. Je me suis donc éloignée du camp pour écrire dans mon journal. J’étais assise sur un rocher au milieu d’un champ de neige et je prenais des notes. Et tout à coup, j’ai réalisé qu’on me regardait. J’ai lentement levé les yeux et, bien sûr, il y avait un grizzly assez imposant, à une quarantaine de mètres, qui me regardait. Heureusement, le vent soufflait dans ma direction. J’ai donc gelé instantanément. Les ours n’ont pas une très bonne vision. Je me suis donc dit que si je restais immobile, il penserait que j’étais un rocher. Eh bien, il s’est rapproché et est venu directement vers moi, à une vingtaine de mètres, s’est levé et essayait vraiment de comprendre ce que j’étais.

Susan Beharriell :
À cet instant, je me suis dit à quel point cet animal était magnifique et que c’était un privilège d’être en sa présence. En même temps, l’autre partie de ma tête se demandait ce que je j’allais faire s’il décidait de se rapprocher. Donc, je regarde les roches, car il y en avait quelques-unes, et j’essaie de regarder où je pourrais me coincer, mettre mes bras par-dessus mon cou, ne pas bouger et espérer! Je suis certaine qu’il pouvait entendre les battements sourds de mon cœur. Mais c’était un sentiment merveilleux de voir ce magnifique animal devant moi. Il s’est remis à quatre pattes et a commencé à marcher directement vers moi. Puis, tout à coup, il est juste parti dans une autre direction.

Susan Beharriell :
Il a monté la montagne derrière moi à un angle, et je l’ai observé. J’ai fini par tourner la tête et l’ai regardé partir. J’ai pu le voir s’éloigner sur près d’un kilomètre ou deux et monter une pente de montagne douce. J’ai terminé mon journal et je suis retournée au camp. Tout le monde m’a dit que j’avais manqué la chose la plus incroyable; qu’ils avaient vu un ours monter la montagne. J’ai répondu que non, je ne l’avais pas manqué. Je leur ai raconté l’histoire et ils ne m’ont pas cru. Plusieurs ne m’ont pas crue. Je les ai donc amenés où j’étais et comme c’était un champ de neige, ils pouvaient voir exactement où étaient les traces de l’ours, où j’étais assise et où se trouvaient mes traces. C’était vraiment génial.

Susan Beharriell :
À bord d’un avion de chasse F-5 à deux places, en pleine nuit, nous avons été secoués par un orage éclair au-dessus du Nevada. Notre avion a été frappé par la foudre.

Susan Beharriell :
Nous avons perdu nos systèmes de radio et de navigation. Puis, nous avons été guidés par notre ailier et avons atterri en toute sécurité sous la pluie battante pour raconter l’histoire. Toute une aventure. J’ai appris la danse du tambour, la lutte avec les jambes et le chant guttural en inuktitut avec des Inuits. J’ai volé à bord d’un hélicoptère sans portes, ressenti la chaleur et senti l’odeur de la rivière de lave qui coulait non loin en dessous de nous en emportant des arbres et des voitures, alors que nous survolions un volcan actif à Hawaï. J’ai escaladé une cascade de glace à Canmore, en Alberta, bottes à crampons aux pieds et piolet à la main. J’ai appris à descendre une falaise abrupte en rappel pendant la formation de base.

Lisa Bragg :
Vous avez également subi une blessure au cerveau, pour lequel l’anxiété a été un facteur contributif, selon ce que vous m’avez dit.

Susan Beharriell :
Et cela n’avait rien à voir avec mes artères ou quoi que ce soit d’autre. Mais j’ai un bout de cerveau mort à environ un pouce à l’intérieur du côté gauche de mon front. Les médecins m’ont dit que si je travaillais très fort tout de suite, je pourrais peut-être apprendre à parler de nouveau, en quelque sorte, mais si je voulais arriver à quelque chose, je devais le faire immédiatement. Le médecin américain m’a dit que je devrais tout simplement démissionner de mon contrat et que je ne pourrais plus jamais monter à cheval. Je ne serais donc plus jamais en mesure de faire de l’équitation, de vivre seule, de voyager, de parler en public. Bref. Ma carrière était terminée. J’ai déterminé que ce n’était pas ce que je voulais faire de ma vie. Je me suis donc mise au travail.

Lisa Bragg :
Vous étiez au Colorado, et les personnes avec qui vous étiez stationnée se sont mobilisées pour vous soutenir pendant cette thérapie intensive.

Susan Beharriell :
Les médecins ont été plutôt étonnés de voir que j’étais capable de m’exprimer avec autre chose que des grognements monotones. J’ai donc appris à parler une deuxième fois. Puis, j’ai eu un cancer, alors j’ai dû apprendre une troisième fois. Je vais peut-être réussir à bien faire les choses un de ces jours. Quoi qu’il en soit, j’ai fini par être libérée de l’armée – ma lésion au cerveau s’est atténuée jusqu’à ce que je retrouve certaines capacités. Je n’étais tout simplement pas en mesure de diriger un grand nombre d’employés, ce qui était attendu de moi compte tenu de mon rang à l’époque. J’ai quand même continué à travailler pendant encore six ans, ce qui est incroyable – et tout à fait dans mes capacités. On m’a même offert une promotion au grade de colonelle, mais c’est parce que l’équipe responsable des promotions n’était pas au courant de mon dossier médical. J’ai donc dû refuser l’affectation à un cours de français intensif de 7 h 30 à 18 h, avec cinq heures de devoirs chaque soir, nécessaire pour devenir colonelle. J’étais lieutenante-colonelle à ce moment-là. Je savais que mon cerveau ne pouvait pas le faire. J’ai donc dû leur écrire une note et leur dire pourquoi. Et c’était difficile parce qu’on travaille tous à la progression. Mais c’était une évidence.

Lisa Bragg :
En tant que femme dans l’armée, vous avez probablement beaucoup à dire sur le fait que l’armée fait les manchettes de nos jours en matière de harcèlement sexuel.

Susan Beharriell :
Les nouvelles qu’on entend en ce moment sont à la fois décourageantes et encourageantes. Apparemment, un nombre alarmant d’officiers supérieurs ne comprennent toujours pas, comme le dit le premier ministre. L’inconduite sexuelle n’est plus cachée et les survivants en parlent. L’armée travaille fort pour déterminer comment elle peut changer sa culture. Mais il est important de nous rappeler que les Forces armées canadiennes sont, après tout, composées de membres de la société canadienne. J’ai récemment été nommée au comité des ressources sur le traumatisme sexuel militaire dans le cadre des efforts déployés par les Forces canadiennes pour changer leur culture.

Lisa Bragg :
Merci de le faire. C’est un rôle très important qui témoigne de votre engagement continu envers l’armée, même à la retraite.
Maintenant, pour changer un peu de direction, vous avez une devise qui vous sied particulièrement bien.

Susan Beharriell :
J’ai effectivement une devise depuis que je suis petite, « Qui ne risque rien n’a rien ». Ce que ça signifie pour moi, c’est que si vous n’essayez pas quelque chose, vous ne saurez jamais si vous pouvez le faire. Mais peut-être une autre devise, celle de l’Aviation royale canadienne, résume bien ma vie jusqu’à présent : Per Ardua ad Astra, « À travers les embûches jusqu’aux étoiles ».

Lisa Bragg :
Superbe et tout à fait appropriée. Susan, à Audacieu(se), nous posons toujours ces trois questions : Quelle est votre réalisation la plus audacieuse?

Je dirais mon face-à-face silencieux avec ce grizzly. Parce que si j’avais déguerpi, bougé ou fait du bruit, le résultat aurait pu être très différent. Au lieu de cela, grâce à mon sang-froid, à la direction du vent et à la chance, ce fut une expérience formidable.

Lisa Bragg :
À quel moment auriez-vous aimé être plus audacieuse?

Susan Beharriell :
Je ne me considère pas comme audacieuse. Il est donc difficile de trouver un moment où j’aurais pu être plus audacieuse. Cela n’aide probablement pas beaucoup votre balado, mais je ne me vois pas comme une personne audacieuse. Je ne me promène pas en pensant que je suis une personne audacieuse; je fais simplement ce qu’il y a à faire.

Lisa Bragg :
Que diriez-vous à la petite fille de 12 ans que vous étiez?

Susan Beharriell :
À 12 ans, j’étais en sixième année. Si je me souviens bien, je réussissais bien à l’école. Je chantais dans la chorale et être guide me tenait bien occupée. Mais j’étais assurément une personne excentrique aux récréations; j’ai subi de l’intimidation et on se moquait de moi sans cesse. J’aimerais donc dire à la fille de 12 ans que j’étais que l’intimidation constante cessera. Les choses s’amélioreront. Puis je lui dirais : « Vas-y, fonce. »

Lisa Bragg :
Vous m’avez donné des frissons. C’est magnifique. Merci. Voulez-vous ajouter un dernier mot?

Susan Beharriell :
Eh bien, en ce qui concerne ma carrière militaire, nous sommes juchées sur les épaules de géantes. Pensons aux infirmières de 1885 – de jeunes femmes célibataires. Une douzaine d’entre elles ont pris le train à vapeur, sur les voies qui venaient tout juste d’être construites et sont parties vers l’Ouest avec l’armée, jusqu’au bout de la ligne, puis sont montées dans les charrettes de la rivière Rouge jusqu’à la rébellion du Nord-Ouest, où elles ont pris soin des soldats blessés. Elles ont été de remarquables pionnières, se sont vues décerner une médaille de campagne et sont devenues les premières femmes à servir dans l’armée canadienne, ou plutôt avec l’armée. Puis, il y a eu les infirmières de guerre en Afrique du Sud et pendant la Première Guerre mondiale. Les premières Canadiennes à voter ont été les infirmières qui avaient servi en France. Puis, bien sûr, est venue la Seconde Guerre mondiale, où les femmes ont servi pour que les hommes puissent se battre, et elles ont fait tellement de choses que la société et les hommes croyaient impossibles pour elles. Puis est venue mon époque, comme une deuxième vague de la libération des femmes. Nous étions différentes parce que nous mettions les hommes au défi pour occuper les mêmes postes. Ça a été très difficile. Mais voyez où nous en sommes aujourd’hui : au début, j’étais la seule femme – la première femme autorisée à entrer dans le service des renseignements et aujourd’hui, le quart des officiers du renseignement de l’armée canadienne sont des femmes. J’encourage fortement les femmes à continuer.

Lisa Bragg :
Merci, Susan. Aujourd’hui, mon invitée était Susan Beharriell, lieutenante-colonelle à la retraite. Je m’appelle Lisa Bragg et vous écoutiez Audacieu(se), un balado relatant des histoires de femmes qui se distinguent, destiné à leurs semblables, et qui vous est présenté par BMOpourElles. Partagez l’émission avec votre collectivité et inscrivez-vous au balado. Merci à l’équipe de Media Face. Merci de nous avoir écoutés!

 

À propos du balado :
Présenté par BMO pour Elles et animé par la journaliste et entrepreneure primée Lisa Bragg, Bold(h)er propose des entretiens qui suscitent la réflexion et qui incitent les auditeurs à prendre des décisions audacieuses, dans la vie comme en affaires.