Voici l’histoire du combat contre le cancer que j’ai mené au cours de la dernière année tout en étant propriétaire exploitante d’une petite entreprise. J’espère qu’elle vous apportera une certaine sérénité si vous devez, vous aussi, faire face à des circonstances hors de votre contrôle. Elle pourrait également vous donner des idées concernant la façon de vous préparer à une situation où vous seriez également mis sur la touche.

Mon entreprise se spécialise en recherche marketing et en gestion de marque. Nous sommes une équipe de cinq chercheurs, y compris moi-même, en plus de mon mari, qui est directeur financier. Nous faisons des affaires depuis 22 ans. Il s’agissait au départ d’une entreprise individuelle. Celle-ci a grossi et compte désormais parmi les principales entreprises spécialisées en recherche qualitative au Canada.

La vie me traitait bien avant le mois de juin 2017. J’avais beaucoup de travail et j’aimais celui-ci, je voyageais souvent et mes deux filles avaient terminé (ou étaient sur le point de terminer) leurs études universitaires. J’étais mariée – et heureuse – depuis 31 ans. Mon dossier de santé ne comportait aucune tache, et je passais les examens requis tous les deux ans, y compris une mammographie.

Un jour, j’ai ressenti une douleur au sein, que j’ai tout d’abord attribuée au cerceau de mon soutien-gorge.

J’ai par la suite trouvé une masse. Elle avait la forme d’une grosse bille et m’a fait l’effet d’un coup de poing au ventre.

Au cours des 14 derniers mois, j’ai reçu des traitements de chimiothérapie et de radiothérapie, j’ai subi deux opérations et je termine mes traitements préventifs. Hourra!

Il s’agit donc d’une excellente occasion de réfléchir à ce que j’ai fait pour gérer une absence imprévue de mon entreprise.

Je voulais connaître les chiffres sur-le-champ

Après m’être extirpée de l’étreinte de mon mari, j’ai senti le besoin d’examiner nos finances. Notre famille pourrait-elle rester à flot sans revenus d’entreprise? Pendant combien de temps pourrions-nous continuer à verser les salaires des employés? Mon mari et moi avons passé en revue les éléments suivants :

  • Mon assurance vie (pour la famille, en cas de décès);
  • Mon assurance invalidité de longue durée (pour couvrir mon salaire pendant mon arrêt de travail);
  • Mon assurance maladies graves (un versement unique pour couvrir les trois premiers mois sans salaire ainsi qu’un fonds pour d’autres traitements à venir, au besoin);
  • L’épargne de l’entreprise (pour couvrir le salaire des employés).

En une heure, toutes les réponses sont devenues claires, et j’ai pu voir comment nous pourrions nous en sortir. J’ai remercié intérieurement la jeune version de moi-même, ainsi que ma conseillère financière (qui est elle-même malheureusement décédée d’un cancer), d’avoir fait le nécessaire pour souscrire les produits d’assurance sur lesquels je pouvais maintenant prendre appui. Je pouvais alors me consacrer à prendre soin de moi.

J’en ai parlé à d’autres femmes propriétaires d’entreprise, qui devaient respecter une chape de silence

Deux jours après avoir appris la nouvelle, je participais à une réunion mensuelle de la Women Presidents’ Organization (WPO). J’ai annoncé la nouvelle sans avoir à craindre qu’elle ne se répande hors de mon contrôle (puisque mes enfants et mes employés n’étaient pas encore au courant). J’ai pleuré. Les membres de l’organisation m’ont consolée. Elles m’ont offert leur soutien personnel et m’ont fourni les coordonnées de survivantes du cancer du sein avec qui je pourrais communiquer. Elles m’ont également dit que, pour mon entreprise, cette situation pourrait être un mal pour un bien : d’après ce qu’elles avaient entendu au fil des ans, mes chercheurs prendraient les rênes si jamais je ne pouvais pas être présente. (C’était si vrai… je crois que j’ai ri.)

Je me suis confiée à une employée pour tâter le terrain, puis j’ai parlé aux autres en groupe

La semaine suivante, j’ai dîné avec ma plus ancienne employée, maître de l’organisation qui comprend très bien tout le monde au sein de l’entreprise et qui se considère comme une « penseuse catastrophiste » (la personne parfaite à qui faire des confidences). En lui faisant part de la nouvelle, je tremblais, toujours effrayée, mais le fait d’élaborer une stratégie pour annoncer la nouvelle aux autres personnes de l’entreprise et possiblement à nos clients m’a procuré un certain réconfort.

Lorsque j’ai fait l’annonce aux autres employés, elle était à mes côtés, tout comme mon mari. J’ai pu garantir à tout le monde que leur emploi et leur salaire seraient protégés, peu importe ce qui arriverait (puisque j’avais déjà fait les calculs). Je leur ai dit que notre objectif serait de conserver les projets à l’intérieur de l’entreprise, mais que le chercheur principal serait l’un d’entre eux, plutôt que moi. Les employés ont été surpris que je tienne à les rassurer, alors que j’étais moi-même dans le besoin.

J’ai créé un réseau de personnes ayant survécu au cancer

Les personnes atteintes d’un cancer du sein que j’avais connues étaient toutes décédées. Le fait d’entrer en contact avec des amies d’amies qui y avaient survécu m’a donc fait un grand bien sur plan personnel. Je leur ai demandé comment elles avaient géré leur vie professionnelle. Même si aucune d’entre elles n’était entrepreneure, j’ai découvert qu’environ la moitié avait arrêté de travailler afin de se consacrer à sa santé. Les autres ont continué de travailler : certaines ne voulaient pas que leurs collègues soient au courant, d’autres avaient besoin de la normalité que leur offrait le travail, et d’autres étaient déterminées à remettre la maladie à sa place. Je n’étais pas du tout certaine de l’attitude à adopter. J’ai décidé de naviguer à vue.

J’ai lentement acquis l’assurance nécessaire pour annoncer la nouvelle à mes clients lorsque cela me semblait approprié

Au cours des premières semaines, les rendez-vous chez le médecin ont chambardé mon horaire et ont nui à ma capacité d’être présente aux réunions avec les clients. Il m’est arrivé d’avoir rendez-vous avec le chirurgien une journée où je devais animer des groupes de discussion. J’ai pris mon courage à deux mains, puis j’ai dit à la cliente que je devais rencontrer un chirurgien pour un problème de santé. Elle m’a répondu qu’elle espérait que ce n’était rien de grave, et a gentiment proposé d’animer les groupes elle-même, tout en me demandant également si j’avais une autre solution. Oui! J’ai été en mesure de proposer une autre animatrice de notre équipe à qui on avait bien présenté le projet. J’ai poursuivi en lui décrivant le parcours et l’expérience de cette employée. La cliente m’a dit : « Lisa, je sais que tu n’as aucune patience envers l’incompétence. Depuis combien de temps travaille-t-elle pour toi? Trois ans? Si elle est assez bonne pour toi, elle le sera aussi pour moi. » Cette conversation m’a donné beaucoup de courage pour traiter avec les autres clients.

  • Au départ, avant le début de mes traitements, une cliente proche souhaitait me parler d’une occasion à venir. Je lui ai donc annoncé la nouvelle sans détour, autour d’un café. Nous avons parlé du cancer, puis nous avons parlé affaires. Elle a fait preuve de compassion et a placé ma santé au premier plan, ce qui m’a mise dans le meilleur état d’esprit qui soit. Elle m’a permis de « faire des plans sans engagement ».
  • Une cliente dont le projet tirait à sa fin m’a vue dans un reportage de CTV au sujet du programme Belle et bien dans sa peau. Elle m’a demandé si j’allais bien. J’ai accepté ses souhaits de rétablissement sincères, sans toutefois ressentir le besoin de lui faire part de plus de détails sur le coup.
  • Une autre cliente m’a parlé du fait qu’elle comptait s’absenter du travail pour subir une chirurgie cardiaque. Je lui ai alors parlé de mon cancer. Nous passions par les mêmes étapes : mettre sur pied notre équipe médicale et ouvrir la voie de manière à ce qu’un autre employé haut placé nous remplace. Ces nombreux parallèles ont rendu la transition hors du projet possible, et ce, sans perdre la cliente.
  • Je n’ai pas encore parlé de cancer à certains clients de qui je suis un peu moins proche. C’est à cela que sert le bouche-à-oreille.

J’ai obtenu de l’aide psychologique.

Le Princess Margaret Cancer Centre à Toronto, en Ontario offre de nombreux services à ses patients. J’ai donc sauté sur l’occasion de rencontrer une psychologue spécialisée pour les patients atteints de cancer. Cela a eu un effet très libérateur d’aller la voir à quelques reprises vers le début des traitements, puis de nouveau vers la fin de ceux-ci. Je pouvais tout lui révéler et elle m’écoutait, mettait des choses au jour et me conseillait. Mon expérience a été bien meilleure que ce que l’on voit dans les films.

Au cours de la première séance, nous avons discuté de la possibilité que je continue à faire fonctionner l’entreprise malgré ce qui se dressait à l’horizon ainsi que de mon souhait de travailler ou non. Je me souviens qu’elle m’a dit : « Vous parlez comme si c’était un choix, mais ça ne le sera peut-être pas toujours. » C’était important à entendre.

Quelles leçons en ai-je tirées?

Les employés feront preuve de dévouement à votre égard

Je n’ai jamais autant tiré profit de la règle d’or : « Traite les autres comme tu voudrais être traité. » Une employée m’a offert de partir de Calgary pour venir diriger quelques projets à Toronto. Pour ce faire, elle devrait laisser son mari et son enfant de six ans à la maison plusieurs jours à la fois. Je lui ai demandé comment c’était possible. Elle m’a répondu : « Mon mari et moi comprenons que tu en as besoin, et nous sommes là pour toi. » En passant, je n’avais jamais rencontré son mari… Wow!

L’ensemble de l’équipe a travaillé inlassablement l’automne dernier : les revenus ont même dépassé ceux de l’année précédente. C’était incroyable! De plus, comme ma coéquipière de la WPO l’avait prévu, ils ont aimé s’aventurer dans le vide, dans un certain sens.

Les clients vous témoigneront leur confiance

Mes clients m’ont traitée avec beaucoup d’amour et de compréhension. Pendant mes traitements, je les rencontrais parfois pour dîner ou pour prendre un café; nous parlions alors de la vie, et non du travail. Lorsqu’ils me demandaient ce qu’ils pouvaient faire pour m’aider, je leur répondais de continuer à faire appel à nous pour leurs besoins en matière de recherche. Et c’est ce qu’ils ont fait.

Ils ne m’ont jamais poussée à prédire ce que je ferais ou non. Ils m’ont simplement dit que ce que je pensais être le mieux leur conviendrait. C’est incroyable.

Le fait de parler de ses épreuves permet aux autres de vous faire part des leurs, à leur tour

J’ai appris bien des choses au sujet de la vie des autres en leur parlant de la mienne. J’ai découvert des choses au sujet de leurs parents, de leur famille et de leurs propres problèmes de santé. Des liens plus étroits se sont créés, et ceux-ci vont certainement subsister.

Les compétences organisationnelles et analytiques auxquelles on fait appel pour gérer son entreprise sont également utiles lorsque vient le temps de gérer son état de santé

Il est très important d’« écouter activement » ce que dit un médecin ou une infirmière, d’être capable de prendre des notes en temps réel, de planifier les sujets à aborder au cours de la prochaine réunion, de relever les divergences et de résoudre celles-ci.

J’ai toutefois dû apprendre comment mettre les freins immédiatement lorsque je sentais que quelque chose n’allait pas. J’ai failli à cette tâche un jour, puis je suis restée éveillée presque toute la nuit à retourner dans ma tête la menace que cela représentait pour ma santé. C’est alors que j’ai créé la stratégie « S’arrêter, comprendre et prendre une décision », calquée sur le principe « S’arrêter, se jeter par terre et rouler ». Ce plan pour une « prochaine fois » m’a permis de me remettre de mon traumatisme et de me sentir prête à affronter un imprévu.

J’espère que vous avez pu tirer de ces conseils quelque chose qui vous sera utile. Si vous vous retrouvez dans une situation similaire, si vous pensez que je peux vous aider, faites-moi signe.