Nom : Chantal Carter
Entreprise : Love & Nudes
Secteur d’activité : Mode/Vêtements

 

Tanya : Officiellement, qu’est-ce que Love & Nudes?

Chantal : La marque Love & Nudes est un vecteur d’amour-propre. J’ai développé la gamme de lingerie de couleur chair en différentes nuances de brun pour soutenir, reconnaître et célébrer les femmes noires et de couleur.

Tanya : Quelle est votre histoire et comment êtes-vous devenue entrepreneure?

Chantal : Je suis née et j’ai grandi à Montréal, dans le monde de la mode. Ma mère travaillait dans l’industrie du vêtement, et moi, je suis devenue styliste vestimentaire. Pour les séances de photo, les mannequins ont besoin de sous-vêtements d’une couleur qui se rapproche de celle de leur peau afin qu’on ne les remarque pas sous un tissu plus fin. Mais à l’époque, les mannequins n’avaient pas cette possibilité.

J’ai souvent été témoin de cette situation, et je voulais aussi porter des sous-vêtements de couleur chair. J’ai constaté la lacune sur le marché. J’ai acheté un soutien-gorge et une petite culotte blancs, et les ai peints avec de la peinture à tissu jusqu’à ce qu’ils correspondent à ma couleur de peau. Et je les ai portés. Le tissu était très craquant et inconfortable, mais ça ne me dérangeait pas. Puis je me suis dit : non! C’est complètement fou. [Rires]

Tanya : Non, on ne devrait pas avoir à faire tout cela.

Chantal : Je sais que je suis débrouillarde, mais bon sang! Tout ce que je voulais, c’était l’allure. Désespérément.

Tanya : Comme le dit le dicton, aux grands maux les grands moyens, mais il y a quand même des limites. On suppose que le beige est la couleur chair pour tout le monde, mais ce n’est pas le cas. Si mon amie blanche a besoin de maquillage ou de lingerie, ou même des talons hauts de la couleur de sa peau, elle n’a qu’à se rendre dans un magasin et elle sait qu’elle pourra en trouver. Il vient rarement à l’esprit des gens du secteur qu’il y a un besoin pour différentes nuances de couleur chair. Et je n’en reviens pas de voir à quel point il y a tant de gens qui ne comprennent pas le fardeau et les obstacles supplémentaires qui nous incombent juste pour exister dans notre peau.

Chantal : Il faut donc faire ce qu’il faut pour nous, car nous sommes devenus une considération secondaire pour les pouvoirs en place. Et ce n’est même pas intentionnel. Ils font simplement avec ce qu’ils savent. C’est pourquoi je crois qu’il est si important qu’il y ait une représentation dans le monde des affaires, dans tous les secteurs, comme la mode.

Tanya : Comment avez-vous officiellement démarré l’entreprise?

Chantal : Je travaillais comme styliste, et ça ne cessait de me tracasser. J’écrivais toujours des idées, je commençais, j’arrêtais, puis je recommençais. Mais je gardais mes idées pour moi, je n’en parlais à personne, car vous savez comment les parents antillais peuvent être… « Ne fais confiance à personne. »

Tanya : Et « Tu parles trop. »

Chantal : Exactement. Avant, je lisais beaucoup de biographies, et l’une d’elles m’a interpellée. Elle disait : « Parlez aux bonnes personnes et parlez aux gens qui ont ce que vous voulez. » Alors c’est exactement ce que j’ai fait. J’ai communiqué avec une personne du milieu de la mode, qui m’a répondu et donné quelques idées. « Regarde ici, va là. » Elle m’a fourni les renseignements nécessaires pour entrer en contact avec les personnes qui pourraient m’aider.

Tanya : Ce que vous venez de dire est très important : vous avez communiqué avec la bonne personne, qui vous a renseignée. Elle vous a transmis ses connaissances et vous a encouragé à aller de l’avant et à faire le travail, mais elle n’a pas fait le travail pour vous. Il y a tellement de gens qui essaient de tricher pour réussir. Cette personne dit : « Voici quelques outils, voici quelques personnes et voici quelques endroits – maintenant, va faire des recherches. » Les gens regardent votre entreprise aujourd’hui et y voient une réussite, mais vous avez dû faire ce travail.

Chantal : Oui! Les sous-vêtements que j’ai faits sont fabriqués avec amour, envers moi et envers les femmes qui ne sont pas – du moins pas toujours – une priorité : les femmes de couleur et les femmes noires. Les femmes noires qui éprouvent toujours le plus de difficultés et qui soutiennent la communauté tout entière. Mais qui nous soutient?

Tanya : Questions auxquelles il faut répondre.

Chantal : Je voulais proposer quelque chose qui me passionne. Porter quelque chose que j’aime. Je veux vivre une vie simple, élégante, jolie, facile et magnifique et me sentir fabuleuse. Et je veux que mes sous-vêtements le soient aussi. Les vêtements représentent un écran de protection qui vous rappellent votre beauté et votre force, et que vous – nous avons notre place ici.

Tanya : Et c’est ce qui ressort. Je suis certaine que le choix de nom pour votre entreprise était très réfléchi. Il est évident que le premier mot du nom de votre entreprise vous tient beaucoup à cœur. Selon vous, quelle a été votre décision d’affaires la plus audacieuse, outre votre expérimentation de la peinture pour tissu et le perfectionnement de votre concept?

Chantal : Communiquer avec des gens que je croyais inaccessibles pour moi. Au début, nous avons bénéficié d’un fort battage médiatique, et on nous demandait : « Qui sont vos relationnistes? » Je me disais : nos relationnistes? Nous sommes les relationnistes. Tout a commencé quand nous avons eu des billets pour participer à une émission de télévision de la CBC et faire partie de l’auditoire. J’ai apporté mon produit et je me suis fait un devoir de chercher le producteur immédiatement après l’émission pour le lui montrer. Ça l’a intéressé.

Je pense qu’il faut vraiment croire en ce que l’on fait et pourquoi on le fait. Et quand votre pourquoi est très clair, tout le reste le devient aussi, et les occasions commencent à vous apparaître. Mais il faut être ouvert à ces occasions et être prêt à les saisir et à les concrétiser. Quand je me suis rendue dans ce studio, mon site Web n’était même pas encore lancé.

Tanya : Oh mon Dieu! Vraiment?

Chantal : Oui. Je m’apprêtais à lancer une campagne de sociofinancement, mais la CBC manifestait de l’intérêt et planifiait des séances photo, et je me disais : mon site Web n’est pas prêt. Allez-vous attendre que mon site Web soit prêt?

Tanya : [Rires] Les nouvelles n’attendent personne!

Chantal : Exactement. Ils ont dit que le segment serait diffusé le lendemain de son enregistrement. Cela nous a juste forcés à le lancer plus tôt. N’eut été de cette occasion, nous aurions mis beaucoup plus de temps, et Dieu sait combien de temps cela aurait pris.

Tanya : Parfois, il faut que toutes les pièces soient alignées pour que ce soit facile. En revanche, et nous, les femmes, faisons souvent cela, nous attendons la perfection avant de mettre quelque chose au monde. Les hommes le font rarement. Je me souviens d’avoir lu quelque chose au sujet d’une application dont les créateurs ont reçu des millions de dollars en financement alors que l’appli n’était même pas disponible sur Android! La version qu’ils ont finalement sortie et qui les a rendus populaires n’était pas la première ni même la deuxième.

Chantal : Quand on s’expose – et j’ai encore de la difficulté avec ça – on peut se sentir nu et se dire qu’un million de personnes vont venir, regarder, pointer et rire. Elle n’a pas de logo. Comment ose-t-elle présenter cela sans logo? Pourtant, personne ne l’a vraiment remarqué, ou peut-être quelques personnes. Il suffit de se lancer.

Tanya : Selon vous, quel a été le tournant financier le plus important pour Love & Nudes? Le moment où vous vous êtes dit : « J’ai réussi »?

Chantal : Le premier, c’est quand j’ai pu obtenir une augmentation importante de ma marge de crédit. Ma demande de prêt a été approuvée, mais j’avais peur de contracter un prêt. Je n’ai pas pris ça. À ce moment-là, j’étais plus à l’aise avec la marge de crédit, parce que j’avais l’impression de pouvoir la gérer comme bon me semble. Ce fut un moment très important pour moi.

Tanya : Que diriez-vous à quelqu’un qui ne considère pas votre entreprise comme étant universelle. Contrairement à une chaîne nationale qui cible tout le monde, votre entreprise s’adresse spécifiquement aux femmes noires et de couleur.

Chantal : Love & Nudes est pour tout le monde. Une personne blanche peut voir nos produits comme étant d’une couleur neutre qui accentue également sa garde-robe. Je l’ai fait pour les femmes noires et de couleur parce qu’il n’existait aucun produit de couleur chair pour elles, mais il y a des Italiennes au teint foncé qui en achètent. Nous avons aussi une cliente dont la peau rousse est mise en valeur par notre produit; il lui va très bien.

Tanya : Merci de m’avoir corrigée. C’est très important, car nous connaissons déjà les obstacles supplémentaires à la commercialisation de produits s’adressant aux non-Blancs par rapport à ceux qui s’adressent aux Blancs. Quant à la pandémie, comment vous a-t-elle touchée?

Chantal : Pour les entreprises, c’était fou, c’était bien et c’était difficile, car durant cette période, les gens sont devenus plus à l’aise d’acheter en ligne. On a aussi pu observer une tendance à soutenir les entreprises appartenant à des Noirs. Le problème, cependant, c’est que j’ai manqué de produits. Tout le monde avait des problèmes liés à la chaîne d’approvisionnement. À l’époque, mon produit était fabriqué en Amérique du Sud, mais personne n’a reçu quoi que ce soit pendant des mois, alors je me suis tournée vers la production locale, à Montréal. Notre dernière collection y a été fabriquée. Il s’agit de la collection Hochelaga, et elle est faite de coton et de bambou. Vous n’allez pas le croire, Tanya, mais quand j’ai vu le nom de la rue où se trouvent mes fabricants, j’ai réalisé que c’était la même rue où ma mère travaillait lorsqu’elle était dans le secteur de la mode, il y a des années.

Tanya : SANS BLAGUE.

Chantal : J’avais envie de pleurer.

Tanya : La pandémie a assurément posé des défis, mais du positif en est ressorti, alors c’est magnifique. Et j’adore les histoires complètes. J’adore ça. Je suis vraiment heureuse d’avoir posé cette question.

Tanya : Y a-t-il autre chose dont vous aimeriez nous faire part?

Chantal : Par ici l’argent. Sans condition. [Rires] Sérieusement, prenez le train Love & Nudes dès maintenant. Peu importe qui vous êtes – nous voici. Nous sommes là. Si vous croyez au multiculturalisme et à l’expansion de notre économie de manière à inclure tout le monde, alors embarquez! Notre entreprise crée de la richesse sociale. Nous miserons là-dessus et la richesse financière suivra. Merci!

Tanya : Monumental!

 

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Noire et déterminée est une série d’entrevues mensuelles menées par Tanya Hayles, entrepreneure nommée au palmarès des 25 femmes les plus influentes au Canada. Tanya est la fondatrice de Black Moms Connection, un village en ligne mondial de près de 30 000 personnes, qui est aussi un organisme national sans but lucratif établi au Canada qui fournit des programmes et des outils financiers au moyen de programmes de subventions généreusement financés par BMO. Les déclarations et les opinions exprimées par les personnes invitées et interrogées leur appartiennent et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de la Banque de Montréal ou de ses sociétés affiliées.