Nom : Christine Channer Auguste
Entreprise : The Channer Group Inc.
Secteur : Diversité, équité, inclusion et services-conseils en gestion

 

Tanya : Quel est le nom de votre entreprise?

Christine : Mon entreprise se nomme The Channer Group Incorporated. C’est le nom de la société mère, soit l’entreprise constituée en société par actions.

Tanya : Excellent. Dans quel secteur exercez-vous vos activités?

Christine : Les activités de mon entreprise touchent quelques secteurs. Je dirais celui des services-conseils en gestion, tout simplement parce que The Channer Group est la société mère et que dans celle-ci il y a mon balado ainsi que ma société de services-conseils et de formation. Le secteur des services-conseils en gestion est un bon fourre-tout, mais je fais aussi beaucoup de travail en matière d’égalité, de diversité et d’inclusion. Je fais aussi beaucoup de travail dans les milieux marginalisés et racialisés, et ce, surtout parce que je suis très fière d’être une femme noire. Je crois toutefois que le secteur des services-conseils en gestion est le principal.

Tanya : Génial. Pour commencer, comment êtes-vous devenue entrepreneure?

Christine : Mon parcours vers l’entrepreneuriat a commencé alors que j’étais très jeune. Ma mère nous a toujours fait participer à tous ses projets. Elle est retournée aux études quand j’avais 10 ans pour devenir chef, mais elle avait commencé à offrir quelques services de restauration ici et là et je me disais : « C’est ce que je veux faire. » Je lui créais des petits prospectus sur notre premier ordinateur et j’ai vraiment pris goût à cette effervescence et à cette motivation.

Tout au long de ma carrière au sein d’organisations, j’ai toujours travaillé sur quelque chose en parallèle. Toujours. Parce que je me disais toujours : « Je sais que je m’impliquerai dans cette activité tôt ou tard, mais je n’ai pas encore tous les outils pour le faire. »

Tanya : Quel est le geste le plus audacieux que vous ayez posé à ce jour en affaires?

Christine : À Noël 2019, j’ai quitté mes fonctions au sein de l’entreprise dans laquelle j’étais. J’occupais un poste de cadre dirigeante, mais il y avait une discordance évidente de valeurs, et l’entreprise a décidé de se passer de mes services. C’était de loin le moment le plus déroutant de ma carrière, et pourtant je me suis dit à ce moment-là : « C’est maintenant que ça se passe. » Après m’être sentie littéralement vaincue et trahie et avoir essayé de comprendre ce qui se passait, je pensais déjà : « D’accord, ce n’était pas mon objectif à long terme. » Je considérais cet emploi comme le dernier avant l’entrepreneuriat, mais je ne savais pas que ça arriverait si vite.

J’ai été licenciée un lundi, et le mercredi, je créais ma société. Puis, trois beaux mois plus tard, nous avons connu une pandémie mondiale qui a tout paralysé. Et je poursuis mes activités. Honnêtement, je crois que c’était audacieux de ma part d’être une nouvelle propriétaire d’entreprise et de continuer à avancer. Je me suis dit que je devais poursuivre, car cela me tenait à cœur. Je sais que c’était le bon moment pour moi, car malgré la pandémie et tous les obstacles qu’elle a engendrés, je continue à avancer. J’adore ça, même les choses un peu folles.

Tanya : Quel a été, jusqu’ici, le tournant financier le plus important pour votre entreprise? Le moment où vous vous êtes dit : « J’ai réussi »?

Christine : Je discutais avec ma teneuse de livres et comptable qui m’a dit : « Christine, tu as déjà atteint les mêmes chiffres que l’an dernier et nous ne sommes qu’en juin. » Je l’ai regardée et je lui ai répondu : « Quoi? ». Je crois que… lorsqu’on est propriétaire d’entreprise, on a l’impression de travailler simplement pour payer tout le monde, n’est-ce pas?

Tanya : Oui.

Christine : J’ai pensé que c’était impossible. L’exercice financier s’est terminé le 30 septembre et les revenus ont augmenté de 300 %; et je me suis demandé comment c’était possible en pleine pandémie. Mais ça montre qu’il faut continuer à avancer, et pour moi, c’était incroyable, parce que mon objectif était d’atteindre les mêmes résultats que ceux de mon premier exercice, mais 300 %… Je me suis dit : « D’accord, ça me va! »

Tanya : Bien sûr. Hormis les revenus et la capacité à maintenir le cap en période de pandémie, quelle est, selon vous, la plus grande victoire de votre entreprise jusqu’à présent?

Christine : Notre victoire, ce sont les programmes que nous offrons dans les collectivités, et le fait de constater l’autonomie d’action et le renforcement des capacités. Et être en mesure de le faire malgré une pandémie, en faisant preuve d’une grande créativité quant à la façon dont nous offrons nos services sans compromettre la valeur. Par exemple, par l’intermédiaire de notre programme, l’une des nations autochtones a pu compter son tout premier agent de bord.
Pour moi, notre victoire, c’est d’aider les gens, de les rencontrer là où ils en sont, d’aider ces gens ou les collectivités à atteindre des résultats, à développer des compétences, à saisir des occasions stratégiques, qu’il s’agisse d’acquérir un nouvel immeuble ou un nouveau centre, ou quel que soit l’objectif, c’est ce qui me motive.

Tanya : Oui, ce qui est formidable. Nous avons parlé un peu de la crise sanitaire, mais parlons aussi de la crise raciale. Au cours des deux dernières années, il y a eu le décès de George Floyd et tout le monde a commencé à porter attention aux problèmes des communautés noires, et plus récemment encore, je dirais depuis six mois, voire un an, en ce qui a trait à la vérité et à la réconciliation, il y a eu les révélations au sujet du génocide commis contre les Autochtones dans les pensionnats. Comme il s’agit essentiellement des communautés que vous servez, a-t-il été plus facile d’obtenir du financement ou d’attirer l’attention, ou est-ce toujours aussi difficile en ce qui a trait aux crises raciale et culturelle que nous traversons?

Christine : C’est une excellente question. Je serai aussi honnête et transparente que possible. Nous avons un problème au Canada et dans le monde : ce sont les alliés d’apparence.

Comme j’ai la confiance de mes clients, je dois m’assurer que nous collaborons avec des entreprises qui comprennent les choses. Des entreprises qui font ce qu’il faut, et pas seulement pour cocher une case. Et vous seriez surprise du nombre de gens qui essaient encore de cocher une case. Ils attirent encore l’attention sur eux. Ils disent encore « Regardez-moi. », au lieu de dire « Regardez le problème (ou la cause ou la raison d’être). »

Pour ce qui est de l’accès au financement, du soutien et de l’attention, c’est encore éphémère. Une fois le cycle médiatique terminé, 90 % des gens arrêtent de s’intéresser au problème. Et ce n’est pas du soutien, car cela peut créer un problème plus important, à mon avis. Parce que le message qui m’est renvoyé à moi, en tant que femme noire, ou à mes clients, en tant qu’Autochtones, est le suivant : « Oh, vous êtes importants, mais seulement tant que vous faites les manchettes. »

D’un autre côté, oui, nous avons des partenaires de financement extraordinaires qui – avant les reprises, et les révélations liées à la prise de conscience de l’injustice raciale dont nous avons été témoins et continuons de l’être – ont accompli des choses.

Tanya : Je peux imaginer votre frustration, et je suis dans une situation semblable. Je dirige aussi un organisme sans but lucratif et je vois qui reçoit de l’argent; ces sociétés qui se sont créées en 2020, lorsque c’était la tendance, et qui n’accomplissent qu’un travail d’apparence et ne cherchent qu’à obtenir de l’argent.

Christine : C’est exactement ça.

Christine : Les Noirs, les membres des Premières Nations, les Métis et les Inuits ne sont pas des organismes sans but lucratif. Ils ne sont pas des organismes de bienfaisance. C’est un problème que je continue de voir. Les gens les considèrent comme un organisme sans but lucratif en se disant : « Je leur ai donné 100 $. Ils devraient s’en satisfaire. C’est certainement suffisant. Ils seront certainement reconnaissants, car je suis venu les sauver. » Cela ne fonctionnera jamais. Jamais. Parce qu’habituellement, il ne s’agit que de transactions.

Tanya : Exactement. De plus, ces transactions comportent de nombreuses conditions.

Christine : Oui, exactement.

Tanya : « Nous allons vous donner cet argent, mais vous ne pouvez pas l’utiliser pour X, Y ou Z. » Le plus grand défi pour les organismes sans but lucratif est d’être viables, car personne ne veut financer les salaires. Parce que cela ne contribue pas à procurer un sentiment de bien-être. Dire que vous avez été en mesure de verser un salaire de subsistance à vos employés n’est pas aussi intéressant pour vos donateurs ou vos actionnaires que de dire : « Nous avons permis à 14 enfants d’aller dans un camp. » Alors je me dis : « Selon vous, qui s’occupe de l’accueil et des appels et s’assure que ces enfants ont ce dont ils ont besoin? Qui s’occupe des renonciations, etc.? Selon vous, qui fait fonctionner ces programmes? Ce sont les employés. »

Christine : Oui c’est ce que je dis. Le système est conçu de façon à nous opprimer.

Tanya : Oui. Voici ma dernière question, car j’ai un peu dépassé le temps prévu. Comment parvenez-vous à trouver un équilibre entre votre vie personnelle et professionnelle?

Christine : L’équilibre est essentiel pour moi, car à un moment de ma vie, j’avais beaucoup d’idées suicidaires et les choses étaient vraiment difficiles. Pour moi, prendre soin de soi – et le faire concrètement – est extrêmement important. Parce que l’entrepreneuriat engendre une pression. Le fait d’être une femme noire – une femme d’affaires noire, qui plus est – exerce une pression supplémentaire. Les règles du jeu ne sont pas les mêmes. Et comme nous l’avons dit à quelques reprises au cours de cette conversation, c’est épuisant – épuisant sur le plan physique et épuisant sur le plan émotionnel.
Je trouve du temps à consacrer à des choses que je dois faire en étant seule. Qu’il s’agisse d’analyser, de consigner, de pleurer, de penser ou de conceptualiser. Peu importe de quoi il s’agit. Ne vous méprenez pas, j’aime aussi passer une journée au spa ou prendre un bain. Quiconque me connaît sait que j’adore prendre soin de moi de cette façon-là aussi. Mais prendre soin de soi est synonyme de silence et de temps pour soi. C’était vraiment un apprentissage pour moi, car je suis une personne très sociable.

Mais c’est ainsi que je sépare les choses, en ayant des limites très claires. C’est mon nouveau mot préféré – quand je dis nouveau, c’est en fait depuis les cinq dernières années. J’ai déjà parlé d’établir des limites, mais c’est quelque chose que je mets en pratique maintenant. C’est une action pour moi. Entre le fait de fixer des limites et de prendre du temps de façon très intentionnelle, c’est parfois extrêmement difficile; et je sais que certaines lectrices sont des mères qui assument plusieurs rôles, et je comprends. Je ne suis pas encore une mère, mais la vie peut être extrêmement exigeante. Il s’agit simplement de préserver cet espace pour moi, puis de m’entourer de personnes qui m’aideront à donner le meilleur de moi-même – ma thérapeute, des membres de ma famille proche, mes amis ou des praticiens.

Tanya : J’adore votre réponse. Christine, merci beaucoup du temps que vous nous avez accordé aujourd’hui. C’était une excellente conversation.

Christine : Tout à fait.

Tanya : On voit bien que vous êtes très passionnée par ce que vous faites, et cela porte ses fruits, sur le plan financier, mais aussi sur le plan mental et émotionnel, puisque vous vous consacrez du temps et fixez des limites. Je tenais simplement à vous dire que je vous vois.

Christine : Merci.

 

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Noire et déterminée est une série d’entrevues mensuelles menées par Tanya Hayles, entrepreneure nommée au palmarès des 25 femmes les plus influentes au Canada. Tanya est la fondatrice de Black Moms Connection, un village en ligne mondial de près de 20 000 personnes, qui est aussi un organisme sans but lucratif qui fournit des programmes et des outils financiers au moyen de subventions généreusement financés par BMO.