Nom : Michelle Berry
Entreprise : Shelley Delight/ Shelley Cares Foundation
Secteur : Restauration / banque alimentaire

 

Tanya : Par quoi devons-nous commencer? Vous avez quand même quatre entreprises. (Je suis un peu mal placée pour parler.)
Vous avez un service de traiteur, un restaurant et un organisme de bienfaisance.

Michelle : Concentrons-nous sur le restaurant et l’organisme de bienfaisance. Le service de traiteur nécessite un travail tout à fait différent et il a bien sûr été affecté par la pandémie.

Tanya : C’est vrai. C’était comment d’ouvrir un restaurant en pleine pandémie?

Michelle : J’en parlais à un ami (le propriétaire de restaurant Chef Kareema), et il m’a dit qu’il savait ce que c’était que de simplement essayer de démarrer son entreprise, et qu’un propriétaire doit couvrir les frais généraux qui peuvent s’élever à 15 000 $ par mois avant de pouvoir payer tout le monde.

Tanya : Pardon, avez-vous dit 15 000 $? Un, cinq, zéro, zéro, zéro? Par mois?

Michelle : Oui. Il faut payer le loyer, l’équipement, l’assurance, la nourriture et les salaires. Un montant de 5 000 $ par mois ne couvre que les frais de base. Si vous avez de la chance. Mais je ne suis pas inquiète.

Tanya : Ouf. Nous en reparlerons certainement. Comment êtes-vous devenue entrepreneure?

Michelle : Je suis devenue entrepreneure parce que j’étais consciente que j’aime les belles choses et que je veux voyager, faire mes propres horaires et passer du temps avec ma famille. Aussi, je n’aime pas que les gens me disent quoi faire.

Tanya : (s’esclaffe) J’ADMIRE VOTRE FRANCHISE!

Michelle : Je me suis occupée d’événements d’entreprise et d’un service de traiteur pendant de nombreuses années. J’ai aidé d’autres personnes à bâtir leur entreprise, puis je suis tombée gravement malade. J’ai dû me demander si je voulais continuer à aider les autres à bâtir leur entreprise ou essayer de gagner ma vie selon mes propres conditions. Je ne voulais pas retourner au travail, donc je ne l’ai pas fait.

C’était l’une des décisions les plus difficiles que j’ai prises de ma vie. Je renonçais à un gros chèque de paye toutes les deux semaines, aux avantages sociaux et à un revenu garanti. J’ai pleuré les deux ou trois premières années. J’ai pleuré tellement souvent en me disant que je ne pouvais plus supporter cette situation. Je ne sais pas comment j’allais payer mes factures et je me demandais ce que je devais faire. C’était difficile, mais je ne regrette pas d’avoir pris cette décision, car j’ai fini par sauver ma santé physique et mentale. Je me disais simplement que je n’avais plus à essayer de satisfaire les attentes d’une entreprise et à atteindre de cibles. Je faisais mes propres horaires et j’arrivais à passer du temps avec mes enfants. J’avais un nouveau-né, un enfant plus âgé et j’élevais également mon neveu. Je me disais « Bon sang, quand est-ce que je vais pouvoir prendre une pause pour m’arrêter un peu? J’aimerais simplement avoir cinq minutes à moi. » Cette pause est arrivée seulement en 2020.

Tanya : Cher univers, puis-je avoir une pause? Bien sûr, je vais mettre le monde entier sur pause. Êtes-vous en train de dire que vous êtes responsable de ce qui s’est passé en 2020? D’accord.

Michelle : Au bout du compte, il faut se demander si une situation nous rend heureuses ou si elle nous stresse. Maintenant, si une situation me génère du stress, je n’en veux pas. Je ne le supporte pas. Je travaille depuis l’âge de 9 ou 10 ans. J’ai travaillé pour des services de traiteur, parce que quand j’étais jeune, j’habitais avec mes grands-parents, qui avaient une boulangerie, et la fin de semaine, nous nous rendions au marché pour vendre leurs produits. Des années plus tard, lorsque les gens me demandent si je cuisine, je leur dis que je laisse quelqu’un d’autre le faire. Je veux juste passer faire un tour le samedi pour m’assurer que mes standards de qualité sont respectés.

Tanya : Vous travaillez plus intelligemment, mais pas plus fort. Pensez-vous que tous les grands chefs sont dans leur cuisine chaque jour? Non. Bobby Flay est trop occupé à tourner des émissions diffusées sur le Food Network pour travailler dans ses restaurants. Bobby Flay n’est pas en cuisine.

Michelle : Exact. Je veux aussi préparer l’avenir des femmes chefs noires. Mon restaurant est un espace où elles peuvent mettre en valeur leurs talents.

Tanya : Quelle excellente idée! C’est drôle de voir à quel point la cuisine est une affaire de femmes, sauf dans les restaurants. On nous dit toute notre vie que c’est le travail des femmes, mais tous les chefs exécutifs et les grands chefs sont des hommes. En quoi est-ce logique? Quel est, selon vous, le geste le plus audacieux que vous ayez posé à ce jour en affaires? Était-ce de renoncer au travail en entreprise pour lancer Shelley Catering ou votre restaurant?

Michelle : Le geste le plus audacieux que j’ai posé à ce jour était de cesser d’administrer ma fondation chez moi et de prendre un espace de bureau. Parce que je ne me rendais pas compte à quel point elle avait pris de l’expansion depuis ses débuts. Lorsque j’ai pris cet espace de bureau, j’ai constaté que la fondation était passée à un niveau supérieur. Il n’y avait plus de place pour les petits rêves.

J’ai aussi consciemment apporté un changement au comptoir alimentaire en refusant les dons de conserves, ce qui a parfois été difficile, parce les gens aiment donner des conserves, mais généralement pas en manger. Si les gens veulent faire un don, je les invite à venir à notre comptoir alimentaire pour discuter des raisons pour lesquelles ils veulent donner. S’ils veulent nous donner des denrées périmées, nous les refuserons. Les gens ne sont pas habitués à cela et pensent que nos standards sont trop élevés. Je leur dis qu’ils le sont effectivement.

Tanya : Il est insensé que les gens pensent que ceux qui souffrent d’insécurité alimentaire ne méritent pas de recevoir des aliments frais et sains. Quel a été le tournant le plus important sur le plan financier, une sorte de moment où vous vous êtes dit « J’ai réussi »?

Michelle : Lorsque j’ai reçu ma première bourse de 50 000 $, je n’y croyais pas. J’étais habituée à recevoir des bourses de 5 000 $, de 10 000 $ et de 1 000 $ ici et là. C’était formidable qu’on remarque et qu’on approuve le travail que je faisais. Je suis contente de recevoir cet argent, mais je me demande parfois pourquoi on me le donne. Je me demande si c’est pour bien paraître. Puis, je me dis que je dois arrêter de penser de cette façon, car j’ai travaillé fort et souvent seule pour réussir. Et vu le nombre croissant de personnes dans le besoin, ces 50 000 $ sont vite dépensés.

Tanya : Que voudriez-vous que les gens sachent sur le fait d’être Noire et entrepreneure?

Michelle : C’est formidable et amusant d’être une femme entrepreneure noire, car nous créons des tendances dont les autres profitent. Nous ne manquons jamais d’idées novatrices, donc nous en proposons toujours de nouvelles. Je veux d’abord et avant tout aider les femmes noires à se bâtir un avenir. Je suis une femme noire et j’élève deux reines noires. Mon objectif est de les préparer à s’impliquer dans la prochaine génération. Pourquoi ne pourrais-je pas avoir de femmes chefs noires dans mon restaurant? Qui va m’en empêcher? Vous? Je ne crois pas.
Certaines personnes m’ont dit que je suis agressive et que j’ai parfois des propos racistes et sexistes, mais l’attitude qu’on me reproche est considérée comme une qualité chez un homme. On dirait d’un homme qui se comporte de la même façon qu’il est fonceur et qu’il sait ce qu’il veut. Eh bien, moi aussi, et je m’assume.

Tanya : D’accord. Je vous pose une dernière question avant de conclure. Comment parvenez-vous à trouver un équilibre entre votre vie personnelle et professionnelle?

Michelle : Mais qu’est-ce qu’une vie personnelle? Ça existe vraiment? Blague à part, j’ai dû prendre la décision consciente de prendre des congés, et de les prévoir à mon horaire. Parce que j’ai travaillé tous les jours, de janvier 2021 à la semaine dernière. Entre le restaurant et l’organisme de bienfaisance, la recherche de subventions, les courses à faire et l’organisation qui précède le travail des bénévoles qui viennent faire l’emballage, je n’ai pas pris un seul jour de congé. J’en suis arrivée au point où je me suis dit que j’allais m’épuiser si je continuais ainsi. J’ai réservé du temps pour moi à mon horaire. Des gens m’ont appelée et m’ont dit avec surprise « Vous n’êtes pas ouverts aujourd’hui? » « Non, je dors dans mon lit ou je regarde une télé-réalité. »

C’est difficile, car j’ai l’impression que je devrais en faire plus. Je me dis toujours que ce n’est pas vrai, que j’en fais assez et que si je continue comme ça, je me retrouverai dans la même situation qu’il y a 10 ans, c’est-à-dire à l’hôpital. Ce n’est pas mon but. Pour trouver un équilibre, je demande de l’aide. Pour une raison que j’ignore, j’ai toujours eu du mal avec ce mot. Je me demande pourquoi j’ai entrepris tout ça si c’est pour finir par demander de l’aide aux gens. Je pensais que je pourrais tout faire. Et le syndrome de l’imposteur ne cesse de me hanter. Mais demander de l’aide n’est pas un signe de faiblesse, c’est un signe de croissance.

Tanya : Exactement. Voilà une phrase qui est digne d’être répétée. Merci pour tout ce que vous faites et tout ce que vous êtes!
Où trouver Michelle

Shelley Delight
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Shelley Cares Foundation
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Noire et déterminée est une série d’entrevues mensuelles menées par Tanya Hayles, entrepreneure nommée au palmarès des 25 femmes les plus influentes au Canada. Tanya est la fondatrice de Black Moms Connection, un village en ligne mondial de près de 20 000 personnes, qui est aussi un organisme sans but lucratif qui fournit des programmes et des outils financiers au moyen de subventions généreusement financés par BMO.