De petites étincelles nous montrent souvent à voie à suivre. Il y a près de 26 ans, Alyse Nelson a trouvé le moyen d’aider des femmes de partout dans le monde à diriger. Son organisation, Vital Voices Global Partnership, cherche partout à l’échelle de la planète des dirigeantes qui ont une vision audacieuse du changement et collabore avec elles pour concrétiser cette vision.

 

Alyse Nelson :
[…] que le pouvoir s’étend dès qu’il est partagé? » Je crois qu’il est extrêmement important de comprendre qu’en gardant le pouvoir pour soi – il suffit de regarder n’importe quel dictateur – ce pouvoir se désintègre. Les gens meurent de faim, la pauvreté s’installe et vous n’êtes pas en mesure de vous tailler une place à l’échelle mondiale. Mais quand on commence à partager ce pouvoir (on ne parle pas ici de le céder) il s’étend et a l’effet d’un boomerang. Il revient vers nous.
Le pouvoir s’amplifie et s’étend. Je crois sincèrement que lorsque vous braquez les projecteurs sur les autres, votre propre lumière s’intensifie.
Je m’appelle Lisa Bragg et voici Audacieu(se), un balado relatant des histoires de femmes qui se distinguent, destiné à leurs semblables. Cet épisode vous est présenté par BMO pour Elles.

Lisa Bragg :
Alyse, vous avez une remarquable carrière à titre de chef de la direction et de présidente de Vital Voices, une organisation internationale qui investit dans la réussite des femmes qui occupent des postes de direction, notamment à l’égard de l’émancipation économique, de la participation politique et des droits de la personne. Mais dites-moi, qu’est-ce qui vous a poussé sur cette voie et vous a mené là où vous êtes aujourd’hui?

Alyse Nelson :
J’adore cette question, car je crois que les étincelles sont toujours là. Il faut savoir les repérer et saisir l’occasion. Quand j’étais une étudiante de 21 ans, j’ai entendu parler par hasard de la Quatrième conférence mondiale sur les femmes des Nations Unies qui allait se tenir à Beijing, en Chine. Sans vouloir dévoiler mon âge, c’était en 1995. En 1995, Internet n’était pas ce qu’il est aujourd’hui. Google n’existait pas. Si vous vouliez en savoir plus sur les enjeux mondiaux liés aux femmes, vous deviez participer à ce genre d’événements. On ne pouvait pas vraiment lire à ce sujet dans des articles de journaux ou des livres. Ces problèmes n’étaient pas bien connus. Les droits et les enjeux des femmes aux États-Unis l’étaient bien sûr, mais pas ceux des femmes et des filles partout dans le monde.

Alyse Nelson :
J’étais avide de connaissances et je voulais comprendre ma place dans le monde. On disait que nous étions vraiment la première génération mondiale. Nous allions faire partie de ce qu’on appelait l’économie mondiale et nous serions tous connectés par l’intermédiaire de la technologie. Je me suis vraiment demandé quelle était ma place dans le monde, comment la vie d’autres jeunes femmes comme moi se dessinait, quels étaient leurs droits et quelles occasions s’offraient à elles. Je connaissais très bien les défis auxquels la génération de ma mère, de ma grand-mère et les générations précédentes avaient dû faire face et ce qu’elles avaient accompli. Je connaissais l’histoire américaine du mouvement pour les droits des femmes. Mais je voulais comprendre la situation à l’échelle mondiale.

Alyse Nelson :
J’ai donc entendu parler de cette conférence. J’ai immédiatement appelé les Nations Unies, obtenu des renseignements sur la façon de s’inscrire, envoyé tous les renseignements sur ma conférence et j’ai attendu. Le comité organisateur chinois qui gérait la conférence ne m’a jamais envoyé les documents dont j’avais besoin pour obtenir un visa de conférence. Pas un visa de touriste. Il fallait un visa de conférence pour y participer. J’ai attendu et attendu encore. Nous approchions de la date du départ. Je voulais réserver mon billet, mais j’avais vraiment besoin des documents pour me procurer le bon type de visa. Tous les jours, je me rendais au consulat chinois de Los Angeles, où mes parents vivent, car j’y passais l’été. J’attendais pour parler à quelqu’un et on me disait chaque fois : « Nous sommes désolés, mais tant que vous n’avez pas les documents que vous auriez dû obtenir du comité organisateur chinois, vous ne pourrez tout simplement pas obtenir le bon type de visa. »

Alyse Nelson :
J’avais 21 ans et j’étudiais à l’université. Je me suis dit : « Je ne serai pas réduite au silence. Je vais y parvenir. » J’y suis donc retournée tous les jours. Je crois que les gens du consulat ont fini par en avoir assez de moi. Un des jeunes hommes qui y travaillaient m’a dit : « Rejoignez-moi au coin de la rue dans 20 minutes. » J’ai accepté. Il avait sa pause dîner. Je l’ai donc rencontré au coin de la rue et il m’a expliqué que beaucoup de gens n’avaient pas obtenu les bons renseignements parce que le gouvernement chinois tentait de limiter le nombre d’activistes radicaux fous (comme moi!) qui entreraient au pays. « Ils n’ont probablement pas réussi à identifier l’organisation non gouvernementale à laquelle vous êtes affiliée » – que j’avais inventé de toute pièce puisque je n’en avais pas à ce moment. « Ils essaient simplement d’empêcher les gens d’entrer. Mais voilà où je veux en venir. Si vous demandez un visa de touriste et que vous y allez tout simplement, ils vous laisseront certainement participer à la conférence, puisqu’ils ne veulent pas se retrouver avec des femmes en colère dans la rue. C’est ce que nous avons entendu. »

Alyse Nelson :
En gros, j’ai donc soumis mes documents à nouveau en disant que j’étais étudiante et que je me rendais à Shanghai, et non à Beijing, où la conférence aurait lieu. Me voilà donc prête à partir pour participer à la conférence. J’ai acheté le billet le moins cher que j’ai pu trouver : il y avait quatre escales avant d’atterrir à Beijing. En cours de route, je rencontre une incroyable activiste d’Afrique du Sud. Je lui ai confié que je n’avais pas le bon visa et elle m’a dit qu’elle allait m’aider. Le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est toute une aventure d’arriver dans un pays où vous ne parlez pas la langue, où vous n’avez jamais voyagé et où vous essayez encore de déterminer comment vous allez participer à cette conférence. Mais cette femme et plusieurs autres de partout en Afrique m’ont aidé à obtenir mon badge, qui existait bel et bien. Ils avaient bien reçu ma photo, mes documents et tout le reste, alors j’ai finalement pu participer à la conférence, ce qui était incroyable. Honnêtement, je crois que le fait d’être entourée de 55 000 femmes ambassadrices et activistes, le plus grand rassemblement de femmes de l’histoire – avant l’existence des médias sociaux, si vous pouvez l’imaginer – a été incroyablement inspirant.

Alyse Nelson :
Au milieu de ce groupe de femmes, je me souviens de m’être dit : « Je suis venue ici pour en apprendre davantage sur ces questions alors que toutes ces femmes sont venues ici pour se battre. » J’ai commencé à réaliser que je devais faire plus qu’apprendre : je ressentais l’appel de faire quelque chose de plus important. Je ne savais pas encore ce que c’était… Après tout, je n’étais qu’une étudiante universitaire. Mais pourquoi me suis-je sentie si obligée de me joindre à ces activistes? Il fallait que je fasse quelque chose de tout cela. Mais quoi? C’est cette question qui m’a poussé à réfléchir à ce que je pouvais faire. J’ai appris l’existence de nombreux enjeux, comme l’importance du microfinancement, l’éducation des filles et la lutte contre la traite des personnes qui, à vrai dire, n’étaient pas des sujets connus. Encore une fois, je me demandais ce que je pourrais faire de tout ça. « Comment puis-je contribuer à changer les choses? Comment puis-je informer les jeunes de ma génération de ces problèmes? »

Alyse Nelson :
C’est au dernier jour de la conférence que j’ai obtenu ma réponse. Honnêtement, tout ce que j’ai accompli depuis a commencé à ce moment, qui m’a vraiment interpellé : un moment déterminant – le discours d’Hillary Clinton. C’était la première dame des États-Unis. Beaucoup de gens ne voulaient pas qu’elle participe à la conférence. À qui pouvait-elle s’adresser sur des questions politiques? Mais elle y est allée. Elle a prononcé ce formidable discours. Les droits des femmes sont des droits de l’homme. Les droits de l’homme sont les droits des femmes. En l’écoutant, je me suis dit : « C’est incroyable. Voici une femme qui comprend que les médias prêteront attention à ce qu’elle dit, parce qu’elle est la première dame des États-Unis. Ses paroles seront reprises et feront le tour du monde. » Même si c’était avant l’avènement des médias sociaux, son discours est encore célèbre aujourd’hui et s’est répandu comme une traînée de poudre partout dans le monde parce qu’elle a soulevé ces problèmes sur la scène mondiale : des problèmes dont on ne parlait pas couramment. Personne ne savait ce qui se passait lors de cette conférence de femmes excentriques en Asie. Personne ne savait ce qui se passait là-bas, jusqu’au moment où elle a prononcé ce discours.

Alyse Nelson :
Tout à coup, un grand nombre des problèmes qui passaient inaperçus étaient exposés au grand jour. De plus, de nombreux gouvernements, dont celui des États-Unis, ont adhéré lors de cette conférence au Programme d’action visant à améliorer douze aspects de la vie des femmes. Madame Clinton prenait les choses au sérieux. Elle allait s’en occuper. Son discours avait beaucoup de sens et était très puissant. En tant que jeune femme dans l’assistance, je me suis dit : « Voilà. Je le sais maintenant. J’ai aussi une voix. Elle n’est pas aussi importante et puissante que la sienne, mais j’en ai une. Tout comme elle a utilisé sa voix pour laisser les autres s’exprimer, je dois faire la même chose. Je dois rapporter tout ce que j’appris. Je dois trouver des façons d’utiliser ma voix pour aider les autres à s’exprimer : utiliser mon pouvoir pour donner aux autres les moyens d’agir. »

Alyse Nelson :
Si je devais décrire Vital Voices en une phrase, ce serait : « Nous recherchons le pouvoir pour donner aux autres les moyens d’agir. » Mais nous ne donnons pas les moyens d’agir à des personnes qui n’ont pas de pouvoir. À bien des égards, nous montrons aux femmes qu’elles ont du pouvoir. Nous leur montrons qu’elles sont déjà à la tête de changements importants. Nous leur disons de continuer à faire ce qu’elles font et que nous serons derrière elles pour amplifier leur travail. Je crois fermement que nous avons tous, dans notre vie, cette occasion, cette étincelle, comme vous dites, qui nous permet de décider de prendre les choses en main et de nous les approprier, ce qui devient la force motrice, le moment déterminant de notre vie. Et qu’une grande partie de nos vies peut être retracée à partir de ce moment ou non. Je crois que nous avons tous une occasion à saisir et qu’il est emballant de voir que la nouvelle génération de femmes est à l’écoute. Elles n’ont pas le choix, puisqu’elles voient que le monde ne va demeurer dans son état actuel. Elles sont donc appelées à agir dans l’urgence. Je trouve que c’est extrêmement emballant.

Lisa Bragg :
C’est vraiment inspirant que vous ayez tout simplement téléphoné aux Nations Unies. C’est presque incroyable pour certains. Mais ça inspire les gens à penser qu’ils peuvent peut-être eux aussi faire la même chose. D’autres femmes, qu’elles soient jeunes ou plus âgées, qui entendent que l’on peut téléphoner, participer à ces événements et que d’autres se mobiliseront pour vous soutenir, que notre voix n’est pas seule, qu’elle est amplifiée par nous tous.

Alyse Nelson :
C’est intéressant, car je crois que dès notre naissance, nous voyons grand en tant que jeunes. Nous pensons : « Bien sûr que je peux changer le monde. » Je crois que c’est seulement après coup qu’on nous dit : « Tu ne peux pas, tu es trop jeune, tu ne peux pas vraiment faire le poids ou c’est une idée folle parce que personne n’a jamais fait ça avant. » Je crois qu’il y a beaucoup de pouvoir dans l’audace qu’ont les jeunes d’oser dire : « Oui, je vais appeler les Nations Unies. Pourquoi pas? J’ai besoin de ces renseignements et ils ont probablement ça en main. » C’est le fait de pouvoir se dire : Pourquoi pas? Je crois que j’ai beaucoup de chance d’avoir été élevée dans une famille dont les parents ont vraiment inspiré beaucoup de curiosité envers le monde et d’avoir beaucoup voyagé, enfant. Je ne savais pas qu’il y avait des limites à ce qui était possible et on m’a toujours appris à aller au bout de mes passions, peu importe où elles pouvaient mener.

Lisa Bragg :
Cela nous mène donc à Vital Voices, où vous êtes depuis 23 ans. Voilà une excellente carrière qui contribue à changer les choses. Est-ce qu’elle vous procure beaucoup d’émotions fortes?

Alyse Nelson :
C’est drôle. L’une des membres de mon conseil d’administration que j’admire vraiment, Donna Langley, présidente d’Universal Films Entertainment, est très expérimentée et occupe un poste très important. C’est l’une des femmes les plus puissantes d’Hollywood, même si elle travaille dans l’ombre. Un jour, elle m’a dit : « Chaque fois que je vous parle, j’ai l’impression que c’est votre premier jour de travail. Votre enthousiasme à l’égard de ce que vous faites est contagieux. Comment pouvez-vous continuer ainsi? » À Vital Voices, nous sommes vraiment à la recherche de femmes qui ont une vision audacieuse du changement. Elles représentent ce que l’humanité a de meilleur, même si elles doivent composer avec certains de ses pires aspects. Elles font face à la pauvreté, à des iniquités, à la violence. Et elles réussissent à surmonter tout ça. Certaines d’entre elles sont même des victimes ou des survivantes de ce genre de violence ou de difficultés, ont réussi à les surmonter et aident les autres à faire de même.

Alyse Nelson :
Elles ont ensuite une vision audacieuse et nous nous joignons à elle pour les soutenir et les aider à la concrétiser. Pour moi, c’est extrêmement inspirant, car il ne manque pas de dirigeantes extraordinaires de nos jours. Elles dirigent de façon novatrice, en proposant de nouvelles approches à de vieux problèmes pour lesquels, bien franchement, les solutions ou stratégies typiques n’ont pas fonctionné. Nous avons besoin de ces nouvelles idées originales. Je crois aussi que les femmes dirigent d’une manière différente, en faisant preuve de plus d’empathie et de compassion. Nous l’avons constaté au cours de la dernière année : elles ont une approche plus stimulante et collaborative, plus inclusive, qui est certainement nécessaire pour résoudre bon nombre des problèmes auxquels nous faisons face.

Alyse Nelson :
Vous me demandez si ma carrière me procure beaucoup d’émotions fortes. Certainement. Mais je dirais surtout qu’aucune journée n’est ennuyeuse. Je suis toujours aussi enthousiaste. Je crois fermement que si vous pouvez penser à votre carrière et constater que vous êtes curieux, relevez des défis, êtes passionnés et êtes enthousiastes à l’égard de ce qui s’en vient et que cela vous inspire, continuez à faire ce que vous faites.

Lisa Bragg :
J’adore votre réponse. Après l’année que nous venons de traverser – nous enregistrons ceci en 2021 – avez-vous l’impression que quelque chose a vraiment changé depuis le discours d’Hillary Clinton à Beijing? Elle a dit : « Les droits des femmes sont des droits de l’homme et les droits de l’homme sont les droits des femmes. » Est-ce que les choses ont changé?

Alyse Nelson :
C’est intéressant, car, bien sûr, 2020 est une année très symbolique pour les femmes aux États-Unis, mais aussi partout dans le monde. Cela aurait été le 25e anniversaire de la conférence sur les femmes de Beijing et la signature du Programme d’action, dont j’ai parlé et qui est le document le plus progressiste jamais signé par de nombreux pays pour les droits des femmes. Il n’est pas si progressiste, mais c’est malheureusement le plus progressiste, bien qu’il ait été signé il y a 25 ans – 26 ans aujourd’hui. C’est aussi le 20e anniversaire de la Résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui s’est penché sur le rôle essentiel des femmes à l’égard de la paix et de la sécurité, mais aussi sur la façon dont elles sont touchées de façon disproportionnée par la violence et l’instabilité dans divers pays du monde. C’était aussi l’anniversaire du dix-neuvième amendement, qui n’a pas accordé le droit de vote à toutes les femmes du pays, mais dont c’était la première étape.

Alyse Nelson :
Malheureusement, nous n’avons pas eu l’occasion de nous réunir, ou de célébrer. Mais je crois que ce que nous avons vu était plus important. Même si les femmes sont touchées de façon disproportionnée chaque fois qu’il y a une crise – que ce soit en quittant leur emploi pour rester à la maison faire l’école aux enfants ou prendre soin d’eux, ou d’autres membres de la famille qui sont malade à titre de proches aidants – elles ont perdu leur emploi à un rythme largement supérieur aux hommes, tant ici qu’ailleurs dans le monde. Nous avons vu une forte augmentation de la violence conjugale envers les femmes pendant le confinement, de l’ordre de 30 %, parfois plus : c’est ce que le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres a appelé la pandémie fantôme.

Alyse Nelson :
Je crois qu’effectivement, les choses ont reculé, mais ce qui me donne beaucoup d’espoir – et je crois qu’il est important d’espérer – c’est que nous avons aussi eu un aperçu de la façon dont les femmes dirigent. Nous avons vu que les pays qui ont le mieux réussi à gérer cette crise étaient dirigés par des femmes. Nous avons vu les femmes demander la participation d’organisations polyvalentes, amener des solutions novatrices et diriger avec compassion, empathie et collaboration. Elles ont mis leur ego de côté, ont vraiment écouté les experts, fait appel à des gens et leur ont donné une autonomie d’action.

Alyse Nelson :
Je crois que c’est extrêmement important que les gens aient vu cela. Si vous me demandez quelle est la plus grande entreprise inachevée en ce qui a trait au leadership et à l’autonomisation des femmes presque 26 ans après la Conférence des femmes de Beijing, je dirais que c’est le changement de comportement et de culture. C’est la façon dont nous valorisons et voyons les hommes et les femmes, les femmes et les filles dans ce pays. Nous ne leur accordons pas la même importance qu’aux garçons et aux hommes. Vous pouvez avoir toutes sortes de lois. Vous pouvez avoir des quotas. Vous pouvez instaurer toutes sortes d’éléments pour corriger la situation, mais tant que les gens n’y croient pas, qu’ils n’agissent pas et qu’ils n’en voient pas la valeur, il n’y a pas vraiment de changement. À mon avis, montrer aux gens la façon dont les femmes dirigent et la valeur du leadership des femmes est une façon de sortir de l’impasse dans laquelle se trouve le progrès.

Alyse Nelson :
Nous avons donc vu les femmes reculer considérablement dans de nombreux domaines. J’en ai parlé : le développement économique, l’emploi, la garde d’enfants, la violence, tout ça. Nous avons clairement vu un recul. Je crois que nous avons vu des femmes progresser en matière de leadership et de leadership politique, mais qu’il y a eu une forte augmentation des cas de mariage d’enfants, de mutilations sexuelles et de violence familiale. Cela m’indique que nous avons besoin de nouvelles stratégies dès maintenant. Nous ne pouvons recourir aux anciennes solutions, car nous venons de reculer de plusieurs décennies dans un certain nombre de ces enjeux. Nous avons vraiment besoin de solutions novatrices et d’investissements financiers beaucoup plus substantiels pour aller rapidement de l’avant, car nous ne pouvons pas laisser les choses reculer.

Alyse Nelson :
Une chose que nous n’avions pas il y a 25 ans, c’est la recherche. Nous disions qu’investir dans les femmes était non seulement la bonne chose à faire, mais aussi la plus judicieuse. C’est ce que Madeleine Albright et Hillary Clinton disaient déjà il y a très longtemps. À l’époque, nous n’avions aucune donnée sur le sujet; c’était une simple question de bon sens. Vous avez tellement de ressources naturelles dans votre pays, mais n’en utilisez que 50 % : les hommes. Comment allez-vous rivaliser sur le marché mondial? Comment allez-vous réussir en tant que pays? Nous avons maintenant beaucoup de données et de recherches. Nous en avons certainement besoin d’encore plus. Mais je crois que c’est très important sur le plan de l’investissement. Nous avons vraiment commencé à voir les entreprises investir davantage dans les femmes et les filles lorsqu’elles ont commencé à voir des données concrètes indiquant que cela contribue réellement à changer les choses. Si une fille est éduquée, la société devient plus forte : plus forte, en meilleure santé et plus saine sur le plan économique, simplement en éduquant les filles. Il y a aujourd’hui tellement d’indicateurs comme celui-là, auxquels nous n’avions pas accès il y a 25 ans.

Alyse Nelson :
Je ne dirais pas que nous avons reculé de plusieurs décennies et que nous aurons besoin d’autant de temps pour revenir au point de départ. J’ai plutôt bon espoir que nous pourrons aller plus rapidement, car nous voyons plus d’investissements, nous avons plus de données, et je crois que les gens commencent à reconnaître la puissance de la nouvelle génération. J’ai récemment écrit un article sur le fait que nous avons si longtemps sous-évalué les idées audacieuses des jeunes. Nous venons tout juste de parler de ma folle expérience d’aller à Beijing. À l’heure actuelle, vous voulez que les gens qui n’ont jamais participé à la prise de décision soient présents, car ce sont eux qui sont en première ligne dans la collectivité. Ils ont des solutions novatrices pour s’attaquer à ces vieux défis, et c’est ce dont nous avons vraiment besoin. Nous devons faire un investissement important à cet égard, et je crois que nous commençons à le comprendre, si on se fie à la façon dont les gens, les jeunes prennent la parole; la technologie et les médias sociaux leur ont certainement donné une véritable voix.

Lisa Bragg :
Oui. Il est absolument essentiel que plus de voix se fassent entendre. Il est également intéressant de voir la transition entre la plupart d’entre nous, qui connaissons ces choses dans notre cœur et dans notre intuition, et ces personnes qui misent davantage sur la raison puisqu’elles ont accès aux données et aux recherches qui les sous-tendent. Espérons que l’écart se comblera rapidement entre ce qui s’est produit en 2020 et 2021, et que nous ferons un bon en avant.

Lisa Bragg :
Vous avez dit que le leadership n’est pas un aboutissement, mais un cheminement. Comment continuez-vous à encourager les femmes que vous autonomisez et qui sont des leaders dans leur propre secteur? Comment les aidez-vous à suivre ce parcours et à passer le flambeau à la génération suivante?

Alyse Nelson :
C’est une excellente question. Premièrement, je crois qu’il faut reconnaître qu’il s’agit d’un parcours. Une des choses que nous faisons à Vital Voices et qui est, selon moi, très différente de bien d’autres organismes de perfectionnement, c’est que nous n’investissons pas dans une entreprise. Nous investissons dans une femme leader, peu importe où son parcours l’amène : démarrer une organisation, la quitter, prendre un an de congé sabbatique parce qu’elle en a besoin pour sa santé mentale ou physique, passer à autre chose, donner à son numéro deux les moyens de prendre le flambeau, etc. Peu importe ce que nous pouvons faire, nous nous engageons à soutenir chacune de nos leaders et à l’accompagner dans ce parcours.

Alyse Nelson :
Notre modèle d’investissement axé sur les femmes leaders n’est pas une occasion ponctuelle. Ce n’est pas une bourse d’un an. C’est habituellement de cette façon que les gens se joignent à notre réseau. Une fois que vous faites partie de Vital Voices, l’engagement est le suivant : « Gardez le contact avec nous et nous ferons de même. » De toute évidence, si les gens ne communiquent pas avec vous, vous ne pouvez pas rester en contact avec eux. Nous voyons ce genre de situation de temps à autre. De nombreuses femmes m’ont dit : « Vital Voices entre toujours dans ma vie au bon moment : en me proposant une occasion alors que j’étais sur le point d’abandonner », que ce soit sous forme de bourse, d’un nouveau mentorat ou d’un programme intéressant. Voilà en quoi consiste notre approche. Il s’agit d’une stratégie globale à long terme, adaptée à ce dont cette femme a besoin à ce moment de sa vie, ce qui est différent de ce dont elle aura besoin plus tard.

Alyse Nelson :
Lorsque vous faites cela et que vous vous engagez à être là à long terme, à offrir aux femmes leaders des services sur mesure et de façon tout à fait unique tout au long de leur carrière, les liens que nous tissons avec elles deviennent très forts. Je crois que le fait de reconnaître qu’elles pourraient vivre des moments difficiles… Par exemple, certaines femmes m’ont déjà dit : « Vital Voices serait déçue de moi si je prenais un an de congé. » Au contraire, nous leur disons : « Non, vous devez prendre un an de congé. C’est exactement ce que vous devriez faire. » Je crois qu’elles ont besoin d’entendre ce genre de chose. Les femmes leaders en ont besoin et elles doivent savoir qu’il est acceptable de le faire, d’effectuer une transition ou de passer à la prochaine étape de leur développement. Il est très important qu’elles sachent que nous serons là.

Alyse Nelson :
Je crois que notre modèle de leadership a été un autre des outils qui nous ont permis d’inspirer les femmes. Ce modèle comporte cinq pratiques de base. J’ai écrit un livre à leur sujet en 2012. Elles sont vraiment apparues après une quinzaine d’années de collaboration avec des dirigeantes partout dans le monde. Ces années nous ont permis de voir que, malgré les différences de langues, de culture, de religion, de secteur d’emploi et d’âge se dégageaient des éléments communs dans la façon dont les femmes leaders dirigeaient partout dans le monde, en étant motivées par la raison d’être avant tout. Il y avait cinq pratiques courantes.

Alyse Nelson :
Premièrement, elles avaient toutes une force motrice ou le sentiment d’avoir une mission. Elles avaient toutes vécu un moment déterminant ou une série de situations, bonnes ou mauvaises, qui avaient cristallisé leur mission et leur raison d’être, et elles étaient prêtes à suivre cette mission jusqu’au bout du monde. Leur leadership était si authentique parce qu’elles étaient motivées par quelque chose de très personnel. J’ai raconté plus tôt comment j’ai moi-même trouvé ma force motrice. C’est donc le premier élément.

Alyse Nelson :
Ensuite, elles sont toutes profondément enracinées dans la collectivité. Elles la comprennent. Elles en saisissent les défis. Elles peuvent se mettre à la place de ses membres. Elles font preuve d’une grande compassion et d’empathie. Lorsque nous avons commencé à parler d’empathie en tant que qualité de leadership, tout le monde disait : « Voyons! C’est un signe de faiblesse. » Mais ce n’est pas le cas. C’est un outil incroyable qui permet de comprendre la situation d’une autre personne. Autrement, comment serez-vous en mesure de les mener vers l’avant tout en obtenant de leur part la confiance que vous les soutenez et que vous les écoutez?

Alyse Nelson :
La troisième pratique que nous observons – et cela se produit certainement en situation de crise ou de guerre – est que ce sont toujours les femmes qui franchissent les lignes, qui sont en mesure de trouver des points communs entre de grandes différences pour travailler pour le bien commun. Et c’est certainement parce qu’elles arrivent à mettre leur ego de côté pour le bien de tous. Encore une fois, cela nous ramène à cette force motrice. Si vous êtes motivé par une cause plus vaste, non par le pouvoir pour le pouvoir, mais pour prendre en charge un problème ou donner à des personnes les moyens d’agir, vous ferez tout ce que vous pouvez pour y arriver. Si pour cela vous devez travailler avec quelqu’un avec qui vous n’êtes pas d’accord sur 99 choses, mais que vous réussissez à vous entendre sur cette chose, c’est ce que vous allez faire. Nous le constatons partout dans le monde : les femmes doivent trouver un terrain d’entente et bâtir la confiance nécessaire pour apporter des changements durables; un changement ne peut être durable si seulement dix personnes y croient. Il faut susciter l’intérêt du grand public, et c’est assurément la façon de le faire.

Alyse Nelson :
La quatrième pratique consiste à avoir des idées et à prendre des mesures audacieuses. J’en ai parlé parce que je crois que c’est particulièrement important en ce moment. Et c’est l’idée qu’en tant que femmes, nous n’avons jusqu’ici pas participé à la prise de décision. Nous devons nous rappeler qu’il y a en fait un avantage à avoir été exclues par le passé. Pourquoi? Que voulons-nous dire par là? Si vous n’avez jamais participé à la prise de décision et que vous avez simplement travaillé au sein des collectivités, il est fort probable que vos idées et vos stratégies n’ont pas été utilisées. Comme vous êtes très près de la population, vous avez de nouvelles façons d’aborder de vieux problèmes et présentez des solutions ancrées dans leurs besoins. C’est ce dont j’ai parlé comme deuxième pratique. Et ce n’est pas parce que vos idées n’ont jamais été mises à l’essai et que les gens trouvent que c’est complètement fou et hors du commun que ce ne sera pas exactement ce qui nous permettra de percer.

Alyse Nelson :
Je crois que l’une des choses que nous encourageons vraiment les femmes leaders avec lesquelles nous travaillons à faire, est de ne pas ignorer la petite voix qui semble dire des folies. Il faut toujours un peu de folie. Il faut avoir un peu… même beaucoup d’audace pour apporter des changements révolutionnaires. N’ayez pas peur de cette petite voix. Écoutez ce qu’elle a à dire. Nous avons constaté dans le cadre de nos recherches que lorsqu’une femme partage cet objectif audacieux – la voix qui ne disparaîtra pas, mais dont elle n’osera pas parler avec son mari, sa meilleure amie ou son collègue – lorsqu’elle la partage avec ce réseau de femmes de partout dans le monde, non hiérarchique, non concurrentiel et très diversifié, elle prendra ce risque plus audacieux pour apporter le changement. Voilà le quatrième élément.

Alyse Nelson :
Le cinquième élément que j’ai vu à maintes reprises, qui est vraiment incroyable, et que j’aimerais que plus de gens sachent, c’est que lorsque les femmes acquièrent du pouvoir, des ressources et des occasions, elles regardent immédiatement autour d’elles et se demandent avec qui elles pourraient les partager. À qui puis-je en faire profiter? Malheureusement, on entend toujours dire : « Les femmes gravissent les échelons et retirent l’échelle derrière elles. » Ce n’est pas mon expérience. Je suis certaine que ça arrive. Nous le savons tous. Mais la majorité des femmes avec lesquelles j’ai travaillé ne peuvent tout simplement pas garder tout ça pour elles et se demandent immédiatement comment elles pourraient aider les autres. À mesure qu’elles progressent dans leur leadership, elles se disent : « Qui sera la prochaine? Comment puis-je avoir une plus grande incidence dans ma collectivité? Comment puis-je utiliser ce pouvoir pour donner aux autres les moyens d’agir? Et comment puis-je comprendre que le pouvoir s’étend dès qu’il est partagé? » Je crois qu’il est extrêmement important de comprendre qu’en gardant le pouvoir pour soi – il suffit de regarder n’importe quel dictateur – ce pouvoir se désintègre. Les gens meurent de faim, la pauvreté s’installe et vous n’êtes pas en mesure de vous tailler une place à l’échelle mondiale. Mais quand on commence à partager ce pouvoir (on ne parle pas ici de le céder) il s’étend et a l’effet d’un boomerang. Il revient vers nous.

Lisa Bragg :
C’est vraiment ça : une main vers l’avant et une autre vers l’arrière, n’est-ce pas? Lorsque nous braquons les projecteurs sur une autre personne, la lumière se réfléchit sur nous.

Alyse Nelson :
C’est vrai. La dernière chose que je dis toujours aux femmes pour les encourager à poursuivre leur parcours et qui me vient d’un grand leader : « Il y a une différence entre de bonnes intentions et un excellent leadership : elle réside dans l’engagement et le courage de garder le cap, peu importe la difficulté du parcours. » Et ce sera le cas pour tous les leaders : le chemin sera difficile. La plupart du temps, du moins. Ce sera parfois incroyable, mais ce sera difficile, car vous êtes en train de pousser un rocher vers le sommet d’une colline. Sachez simplement que cela ne se fera pas du jour au lendemain. Mais lorsque le changement survient et que le rocher descend enfin de l’autre côté, c’est incroyable. Si vous persévérez assez longtemps – de nombreuses excellentes études l’ont aussi démontré – vous connaîtrez de véritables changements. Vous le verrez.

Lisa Bragg :
En ce moment, bon nombre d’entre nous se demandent comment passer au travers de la journée ou du lendemain. Comment pouvez-vous vraiment soutenir les femmes qui travaillent à la réalisation d’objectifs impossibles à atteindre? Ces situations durent depuis 25, 50, 100 et même 1 000 ans. Comment pouvez-vous aider, vous améliorer et communiquer cela aux autres?

Alyse Nelson :
Tout d’abord, je crois qu’il est très important de bâtir des alliances, de toujours intégrer de nouvelles personnes, et aussi de reconnaître les réussites en cours de route, aussi petites soient-elles. C’est très important. Et de célébrer ces petites réussites. C’est extrêmement important. À Vital Voices, nous faisons sonner le gong qui est dans mon bureau. Ce qui est le plus triste dans le fait de ne pas pouvoir être ensemble, c’est que je ne peux pas frapper le gong. Quand quelqu’un au bureau vit un moment important, elle le frappe. On l’entend résonner dans tout le bureau; tout le monde sait alors que quelque chose d’important s’est produit. Je crois qu’il est important de trouver des occasions de célébrer les réalisations et les percées, mais aussi d’apprécier les gens.

Alyse Nelson :
L’autre chose que nous faisons à Vital Voices, qui est très amusante, concerne un cochon orné de perles. Il a été fabriqué par l’organisme MonkeyBiz, en Afrique du Sud. Je l’ai ramené de là. Il est dans mon bureau depuis très longtemps. Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose pour célébrer les valeurs de Vital Voices. Je commence donc par parler d’un membre de l’organisation qui a vraiment incarné nos valeurs et qui pourra avoir le cochon sur son bureau pour la semaine. Puis, à la prochaine réunion hebdomadaire du lundi, le cochon est remis à la personne suivante. Dans cette optique, nous avons aussi commencé à féliciter les gens et à parler d’eux. « Vous ne connaissez peut-être pas cette personne en coulisse. Elle a mis les bouchées doubles et m’a aidé dans ce projet. »

Alyse Nelson :
Nous prenons le temps de souligner les réussites et de les célébrer. Je crois que c’est un peu comme ça que nous le faisons. J’ai souvent entendu dire : si vous ne bâtissez pas une telle culture à l’interne, vous ne pouvez pas expliquer aux gens de façon crédible comment créer ce genre de valeur ou le motiver à l’extérieur du bureau.

Lisa Bragg :
Et je tiens à célébrer une réussite pour vous, car vous venez d’acquérir un espace. Vous avez fait l’acquisition d’un édifice historique à Washington. Mais c’est plus qu’un espace puisque beaucoup de femmes essaient de ne pas trop prendre de place. Nous sommes toujours promptes à laisser passer les autres et nous ne prenons pas assez de place. Dites-moi en quoi cet espace est plus qu’un simple bureau.

Alyse Nelson :
Honnêtement, je crois parfois que je rêve. Vous m’avez demandé ce qui me garde motivée depuis 24 ans. Voilà… L’une des choses que je dis toujours à l’équipe de Vital Voices, c’est que c’est ma vision qui me permet de continuer, cette conviction que les gens appellent l’aptitude clé, ou le potentiel. Le potentiel du gland est de devenir un arbre : c’est son aptitude clé. L’une de nos grandes stratèges, Kathleen [Holland 00:35:01], parle toujours de l’aptitude clé.

Alyse Nelson :
Quelle est donc l’aptitude clé de Vital Voices? Quel est notre plus grand potentiel? Mon projet est important. Il est vraiment ambitieux. Au début, j’avais l’impression que les gens sous-investissent dans les enjeux liés aux femmes, au leadership des femmes. Si l’on examine certains des autres grands enjeux mondiaux, de l’environnement à la santé reproductive, on constate qu’on investit beaucoup plus dans ces domaines que dans la valeur et le rôle des femmes en tant que leaders. J’ai commencé à réaliser que nous ne prenions pas de place, exactement comme vous le disiez. Nous faisons notre travail en coulisse, dans un petit coin. Nous devons parler davantage de ce que nous faisons. Très franchement, à Vital Voices, nous accomplissons une grande partie de notre travail en coulisses parce que nous voulons mettre l’accent sur une femme extraordinaire.

Alyse Nelson :
Je crois qu’à Vital Voices, nous cherchons notre propre voix : « Qui sommes-nous? Quelle valeur apportons-nous? » Parce que si nous ne commençons pas à raconter cette histoire, nous ne pourrons pas croître et changer. Il faut vraiment cesser de nous cacher et montrer que nous sommes ici en tant qu’organisation et en tant que réseau mondial. Notre espace est une manifestation physique de ce que nous sommes et de ce que nous faisons dans le monde, mais aussi un endroit où les femmes peuvent se réunir. Nous créons aussi une version numérique de l’immeuble. Nous avons une superficie de 35 000 pieds carrés. Il s’agit d’un édifice historique que nous rénovons complètement en gardant à l’esprit la durabilité environnementale; nous utilisons donc beaucoup de bois recyclé. À chaque étape, nous avons cherché à faire les choses d’une manière qui représente vraiment les femmes. Nous n’avons embauché que des femmes : avocates pour négocier la transaction, directrices de projet, architectes et conceptrices. Ce n’est pas que les hommes ne sont pas nos alliés dans tout cela. Bien sûr qu’ils le sont. Mais nous voulons vraiment que ce projet soit construit par des femmes.

Alyse Nelson :
Et il y a aussi le fait que nous sommes principalement soutenues par des femmes : de Melinda Gates à Hillary Clinton, en passant par Diane von Furstenberg, qui nous a fait un immense don et qui croit vraiment en la vision de ce projet, de Sara Blakely, la grande entrepreneure, de Bozoma Saint John à Donna Langley – de grandes philanthropes qui ont voulu investir dans ce projet. Elles y croient et veulent qu’il existe un espace où les femmes peuvent se réunir pour relever les plus grands défis du monde. En fin de compte, à Vital Voices, c’est ce que nous faisons. Nous repérons ces leaders. Nous investissons en leur proposant de la formation, du mentorat, un réseau de pairs, de la visibilité, de la crédibilité et du soutien financier, mais nous avons besoin d’un endroit où nous pouvons nous réunir, où nous nous sentons chez nous.

Alyse Nelson :
Cet endroit se trouve à Washington D.C., à quelques coins de rue de la Maison-Blanche, sur la 16e rue. Vingt mille voitures passent devant chaque jour. C’est donc très visible. À l’heure actuelle, nous avons un énorme panneau publicitaire de 12 mètres sur 12 mètres, d’Amanda Gorman, membre de longue date de Vital Voices et qui, par hasard, a récité un de ses poèmes lors de l’investiture. Sa voix a pris beaucoup d’ampleur, ce qui est tout simplement phénoménal. Je ne pourrais pas être plus fière. Mais nous utilisons déjà cet espace pour raconter notre histoire et sensibiliser les gens. Dans le contexte de l’insurrection, des préoccupations entourant la sécurité de l’investiture avec l’arrivée des chars d’assaut qui sont toujours là pendant les procédures de destitution, voir cette magnifique jeune Afro-Américaine lever le poing et dire essentiellement que sa voix est son superpouvoir… Beaucoup de gens, que je connais ou non, nous ont écrit, envoyé des messages directs sur Instagram et nous ont dit que, dans le contexte actuel, cela leur donnait de l’espoir pour l’avenir.

Alyse Nelson :
C’est ce que nous voulons faire. Nous voulons être un symbole d’espoir, de possibilités et de rêves. Honnêtement, j’ai l’impression d’avoir le meilleur emploi au monde, car j’ai l’occasion d’investir dans les gens qui rêvent et les gens qui agissent : les gens qui voient le pire de l’humanité, comme je l’ai dit plus tôt, mais qui en représentent le meilleur dans la façon dont ils réagissent. Je crois fermement à l’importance de se manifester et à ce point de vue positif. C’était vraiment intéressant.

Alyse Nelson :
J’ai participé à une retraite axée sur le bien-être que nous organisions pour un certain nombre de femmes de notre réseau, et cette femme, qui avait en quelque sorte des dons de voyance est venue nous parler de plan de vie et de plusieurs choses. Je lui ai demandé si nous réussirions à mettre la main sur notre édifice. « Est-ce que ça va fonctionner? » Nous ne l’avions pas encore acheté. Nous étions en train d’amasser la première tranche de fonds et quelques premiers investisseurs croyaient en notre projet excentrique et se sont dit : « Nous devrions le faire. Je soutiens ce projet. Je vais investir. », ce qui était vraiment incroyable. Je remercie encore ces personnes d’avoir réussi à comprendre notre vision avant même que nous ayons trouvé un immeuble à acquérir. J’ai donc demandé à cette femme si nous allions y parvenir. Nous avions trouvé une solution pour l’immeuble et y travaillions, mais nous continuions à faire avancer les choses. « Est-ce que ça va fonctionner? » Elle m’a répondu : « Là n’est pas la question. » Je lui ai demandé ce qu’elle voulait dire. Elle m’a dit : « Oui, ça va arriver, mais il faut arrêter de bouger comme ça et de vous inquiéter que ça n’arrive pas. Vous devez prendre du recul, partager votre vision et attirer les gens vers vous. Ne sortez pas comme ça. Faites-les venir. »

Alyse Nelson :
Elle m’a donné un petit bracelet, un de ces bracelets de protection contre le mauvais œil. Je suis sortie de là en me disant que ce bracelet me rappellerait que je suis prête à faire face à tout ça. Et c’est drôle parce qu’un jour, le bracelet s’est tout simplement détaché et je me suis dit que je n’avais plus besoin de ce rappel. J’avais suffisamment de preuves que cela allait vraiment se produire. Heureusement que nous avons pu compter sur ces investisseuses extraordinaires : Blythe Brenden-Mann, Chandra Jessee, d’extraordinaires philanthropes, Diane von Furstenberg – qui ont investi dès le départ dans notre projet. Toutes les membres de notre conseil d’administration se sont engagées à 100 %. Chacune d’entre elles a contribué à ce projet. J’ai moi-même contribué à ce projet. Évidemment, nous contribuons toutes à différents niveaux, mais je crois que c’est un signe important. Quand vous allez rencontrer les donateurs et que les membres de votre conseil d’administration croient qu’il s’agit d’une excellente idée. De toute évidence, notre conseil d’administration a voté à chaque étape. Mais ce fut un long processus.

Alyse Nelson :
Bien sûr, je me suis demandé à certains moments ce que je ferais en cas d’échec. Quelle était la pire chose qui pourrait arriver si mon projet échouait? Je rembourserais les investisseurs et on me dirait que j’avais essayé, mais que j’avais échoué, et cela contribuerait à mon apprentissage. C’était vraiment le pire qui pouvait arriver : que je sois renvoyée. Mais je crois qu’il est également important de se demander quelle est notre motivation. Pour ma part, je le fais parce qu’il s’agit de la prochaine étape au sein de cette organisation et dans le cadre de ce mouvement : nous devons prendre de la place. Nous devons être à l’avant-plan. Nous devons monter sur scène. Si nous ne le faisons pas, nous courrons le risque de stagner. Nous devons prendre des mesures audacieuses pour que les gens comprennent à quel point notre organisation est importante et audacieuse et quelle est sa vision. Je crois que ça nous a rapporté gros, car non seulement les gens investissent dans notre projet, mais ils investissent davantage dans Vital Voices parce qu’ils nous voient maintenant comme un plus gros joueur, que notre vision est claire et que d’autres la soutiennent.

Alyse Nelson :
C’était une longue façon d’expliquer que c’est un processus. On ne se sent pas tous les jours aussi confiante. Certains jours, vous vous dites : « Oh mon Dieu! » Mais j’essaie continuellement de me rappeler qu’il faut nous manifester. Il faut continuer à faire participer les gens, pour chaque idée. C’est ce qui est incroyable : il y a tellement de gens qui ont des idées incroyables et qui veulent être mobilisés. C’est vraiment emballant.

Alyse Nelson :
En ce moment, par exemple, nous prévoyons avoir un café dans notre immeuble. Au départ, nous cherchions un partenaire pour tenir ce café, mais je me suis dit : « Un instant. Toute la vision de cet espace est de mettre l’accent sur des femmes extraordinaires. Nous devrions avoir des comptoirs éphémères avec différentes femmes chefs. » Lina Khalifeh, que vous connaissez tous et qui nous a vraiment soutenus dans le cadre du défi WE Empower (et dont votre partenariat fait partie), veut ouvrir le premier studio SheFighter dans le gymnase qui se trouve au sous-sol de l’édifice, pour donner des cours d’autodéfense aux filles. Quand on commence à en parler, les bonnes idées surgissent en si grand nombre. Nous avons une magnifique terrasse où nous pouvons organiser des événements, qui surplombe la Maison-Blanche et le Washington Monument : le siège du pouvoir. Nous avons un immense amphithéâtre. Nous espérons vraiment que cet espace pourra aussi être utilisé par d’autres organisations : ce sera en quelque sorte un carrefour et un lieu de rencontre, animé d’une foule d’activités constantes, mais qui pourra aussi mettre en valeur le meilleur des dirigeantes dans tous les secteurs.

Alyse Nelson :
Nous espérons que ce sera un véritable lieu de communauté et d’inspiration, mais bien sûr, lorsque la COVID-19 a frappé, nous n’avons pas eu le choix de nous dire : « Comment pouvons-nous convaincre les gens que c’est une bonne idée? » Nous avons connu un ralentissement. Mais je crois qu’en même temps, les gens ont vu le rôle essentiel que jouent les femmes dans la collectivité et ce processus s’accélère de nouveau. C’est un parcours.

Lisa Bragg :
C’est assurément un parcours. Nous sommes maintenant en 2021 et, cette année, le thème de la Journée internationale des femmes est « Choisir de remettre en question ». Que pensez-vous de ce thème? J’ai l’impression que c’est quelque chose que vous vivez chaque jour.

Alyse Nelson :
Je l’adore et je crois qu’il rejoint bien les femmes dirigeantes du monde entier. Elles voient quelque chose et ne peuvent s’en détourner. Quand elles vivent quelque chose, elles sont motivées à prendre les devants. C’est ce que font les femmes : elles choisissent d’avoir une incidence positive.

Lisa Bragg :
Alyse, à Audacieu(se), nous posons toujours ces trois questions : Quelle est votre réalisation la plus audacieuse?

Alyse Nelson :
Je dirais qu’il y a eu quelques moments décisifs pour moi, et j’aimerais vous en faire part, si vous êtes d’accord. D’abord, pour aller à Beijing à 21 ans, il en fallait de l’audace. Je dirais aussi quand je me suis rendue au Myanmar pour interviewer Aung San Suu Kyi alors qu’elle terminait tout juste son assignation à résidence et que c’était très dangereux – c’était assez audacieux et ça m’a fait un peu peur. Mais nous avons réussi à passer inaperçus, à l’interviewer et à l’honorer. Et je dirais finalement notre projet actuel, qui consiste à décider que les femmes doivent occuper une place importante. Plutôt que de louer un espace, nous avons décidé d’acquérir un bâtiment historique, de le rénover et de créer un foyer pour les dirigeantes d’ici et du monde entier. Une ambassade, en quelque sorte. Il s’agit d’un centre mondial de leadership pour les femmes. C’est le siège social mondial de Vital Voices et ce sera, selon moi, un endroit extraordinaire où les femmes se rassembleront pour résoudre les plus grands défis du monde.

Alyse Nelson :
Mais ça a été tout un projet. Évidemment, trouver cet incroyable immeuble, faire une offre et lancer une énorme campagne de financement pour en faire une réalité. Je me suis souvent demandé ce que j’allais faire si ça ne fonctionnait pas. Je me suis demandé quelle serait la pire chose qui pourrait arriver si mon projet échouait. Et si je n’essayais pas, quelle serait alors la pire chose? Si nous n’agissons pas de façon audacieuse, que nous ne faisons pas preuve d’audace dès maintenant en travaillant sur l’égalité des sexes, particulièrement en ce moment, après cette année où quatre fois plus de femmes que d’hommes ont quitté le marché du travail… Les enjeux qui touchent les femmes, l’égalité des femmes et l’égalité des sexes ont connu un certain recul et nous avons besoin d’idées audacieuses et excentriques pour sortir de l’impasse.

Alyse Nelson :
Pour moi, quand on soupèse d’une part le risque de ne rien faire, de stagner, de ne pas faire les choses en grand et de façon audacieuse en ce moment, et d’autre part, la possibilité qu’un échec quelconque ne se produise pas… j’ai simplement décidé à un certain moment de me lancer à fond. Je vais être audacieuse. Je vais canaliser l’énergie, l’inspiration et le courage que j’obtiens de ces femmes du monde entier et je vais simplement le manifester. Je vais m’entourer de gens incroyables qui y croient, qui y adhèrent et qui vont aussi prendre les devants. Ce sera une incroyable manifestation physique de ce réseau et de ce mouvement des femmes partout dans le monde. Mais c’est assez téméraire. C’est assez audacieux.

Lisa Bragg :
Téméraire et audacieux, absolument. J’aime penser que nous allons prendre plus de place. À quel moment auriez-vous aimé être plus audacieuse?

Alyse Nelson :
Wow. À quel moment aurais-je aimé être plus audacieuse? Vous savez, je suis assez audacieuse. J’ai l’impression de prendre quand même assez de place. Je crois qu’il faut prendre des risques. Je crois qu’il faut repousser les limites. Je crois qu’il faut investir dans ces idées excentriques. Je ne suis pas certaine qu’il y ait un moment où j’aurais aimé être plus audacieuse. Je crois aussi qu’il faut faire preuve d’audace, puis faire le travail nécessaire. Vous devez faire preuve d’audace, puis faire ce travail. Et comme vous ne pouvez pas tout faire en même temps, vous devez être stratégique. J’ai l’impression que nous nous sommes préparées en vue de ces moments. Vous ne voulez pas passer à l’action avant d’être prête. Je ne veux pas dire que vous avez besoin qu’on vous invite à le faire, mais que l’audace prend de l’ampleur au fil du temps.

Lisa Bragg :
Que diriez-vous à la petite fille de 12 ans que vous étiez?

Alyse Nelson :
C’est vraiment drôle que vous me posiez cette question, car au cours de la fin de semaine, ma nièce de 12 ans m’a interviewé – je pensais qu’elle me poserait plein de questions sur Vital Voices. Mais elle m’a bien sûr plutôt questionné sur le fait de grandir. Je lui ai dit qu’il fallait que les jeunes filles soient indulgentes envers elles-mêmes. Qu’elles prennent soin d’elles. Je crois que l’on a 12 ans, on croit devoir correspondre à une certaine image. On pense qu’il faut être comme ça. Que l’on doit faire certaines choses. À mesure qu’on vieillit, on finit par réaliser, à un certain moment, qu’il faut suivre notre passion. Faites ce qui vous rend heureuses. Mettez-vous au défi. Soyez curieuses. Soyez passionnées et vous réussirez. Mais votre définition de la réussite doit reposer sur vos propres termes. Ce n’est pas la façon dont les autres vous voient. Je crois qu’une fois que vous y arrivez – et j’aurais aimé y arriver plus tôt – vous serez beaucoup plus heureuses.

Lisa Bragg :
Merci beaucoup d’avoir participé à ce balado. C’est ce qui conclut cet épisode d’Audacieu(se), qui vous a été présenté par BMO pour Elles. Notre invitée était Alyse Nelson, chef de la direction de Vital Voices.
Ici Lisa Bragg. Veuillez vous inscrire et partager cet épisode afin que plus de gens profitent de la richesse de ces témoignages, et lui attribuer une note si vous l’avez aimé. Merci à notre équipe de production de MediaFace. Merci d’être à l’écoute.

 

À propos du balado :
Présenté par BMO pour Elles et animé par la journaliste et entrepreneure primée Lisa Bragg, Audacieu(se) propose des entretiens qui suscitent la réflexion et qui incitent les auditeurs à prendre des décisions audacieuses, dans la vie comme en affaires.